
Et dans la maison, la cuisine
(Avec l’amicale autorisation de Colette et pour Annick, qui entre mille autres choses m’a appris à faire la cuisine, à aimer Cézanne et les textes de Colette Nys)
Aucune cuisine n'est assez vaste pour accueillir tous ceux qu'impressionnent à leur insu la salle de séjour, le salon, et que mettent en confiance l'épluchage des légumes, la cuisson d'une ratatouille. Recevoir dans sa cuisine, est-il signe de confiance plus vif ? Les enfants le savent bien; ils pêchent au passage une pomme de terre brûlante dans sa robe des champs, un haricot ébouillanté. Ils s'épanchent au dessus d'un chocolat chaud ou d'une confiture fraîchement mise en pot. Ils avouent et s'avouent entre deux kilos de pois à écosser ou interrogent en garnissant le plat .
Accueil et refuge, pour soi d'abord. Dans les cafards comme dans les détresses, ce réconfort sans emphase que drainent avec eux les gestes domestiques! Laver la salade, battre les oeufs, peler les pommes pour une compote, couper des oignons et les faire rissoler. Le cœur a beau être gros à en éclater, la tête lourde et la gorge serrée, les mains adroites s'activent, rincent, épluchent, pétrissent, découpent et placent, entraînant l'être tout entier dans leur mouvement, après l'avoir arraché à la terrifiante paralysie du malheur, à son inertie. Faire quelque chose, une chose, serait-ce la plus insignifiante, plutôt que de céder à la fascination du vide, plutôt que de s'abîmer. Même si les mains vont automatiquement, comme on conduit une voiture sans y penser, l'esprit ailleurs, même si elles semblent détachées du corps, elles vont.
Plaisir naïf, sensuel, élémentaire de cette omelette baveuse, de ce gratin doré, de cette menthe odorante, de ce chou-fleur grenu sous les doigts, de ce bouquet sauvage posé sur le chêne. Le regard s'éclaire malgré lui, malgré soi; une espèce de chaleur, de sourde satisfaction, monte de la vaisselle rangée, de l'évier étincelant, de la table dressée. Un équilibre s'ébauche ou se rétablit.
Les désarrois peuvent s'ancrer dans ce paisible rituel, trouver la consolation des objets familiers. Le bol épouse la main désemparée, la croûte du pain gratte la joue qui s'y appuie, les oranges luisent, goguenardes, entre les poires ventrues et prêtent à sourire. Les choses nous lâchent moins facilement que les êtres, nous demeurent, alors que tout semble s'évanouir autour de nous.
Colette Nys-Mazure, Célébration du quotidien
Colette Nys-Mazure, poète, Ecrivain
http://www.colettenysmazure.be/
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