lundi 30 juin 2008

L’or des fous


Bernard Lavilliers - L'Or Des Fous
envoyé par Bernard-Lavilliers


La Tzigane
La Tzigane savait d'avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l'Esperance

L'amour lourd comme un ours privé
Dansa debout quand nous voulûmes
Et l'oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Avé

On sait très bien que l'on se damne
Mais l'espoir d'aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
À ce qu'a prédit la tzigane

Guillaume Apollinaire, Alcools

Chaconne en Ré mineur-J.-S. Bach / H. Grimaud

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Et dans la maison, la cuisine


Et dans la maison, la cuisine

(Avec l’amicale autorisation de Colette et pour Annick, qui entre mille autres choses m’a appris à faire la cuisine, à aimer Cézanne et les textes de Colette Nys)

Aucune cuisine n'est assez vaste pour accueillir tous ceux qu'impressionnent à leur insu la salle de séjour, le salon, et que mettent en confiance l'épluchage des légumes, la cuisson d'une ratatouille. Recevoir dans sa cuisine, est-il signe de confiance plus vif ? Les enfants le savent bien; ils pêchent au passage une pomme de terre brûlante dans sa robe des champs, un haricot ébouillanté. Ils s'épanchent au dessus d'un chocolat chaud ou d'une confiture fraîchement mise en pot. Ils avouent et s'avouent entre deux kilos de pois à écosser ou interrogent en garnissant le plat .

Accueil et refuge, pour soi d'abord. Dans les cafards comme dans les détresses, ce réconfort sans emphase que drainent avec eux les gestes domestiques! Laver la salade, battre les oeufs, peler les pommes pour une compote, couper des oignons et les faire rissoler. Le cœur a beau être gros à en éclater, la tête lourde et la gorge serrée, les mains adroites s'activent, rincent, épluchent, pétrissent, découpent et placent, entraînant l'être tout entier dans leur mouvement, après l'avoir arraché à la terrifiante paralysie du malheur, à son inertie. Faire quelque chose, une chose, serait-ce la plus insignifiante, plutôt que de céder à la fascination du vide, plutôt que de s'abîmer. Même si les mains vont automatiquement, comme on conduit une voiture sans y penser, l'esprit ailleurs, même si elles semblent détachées du corps, elles vont.

Plaisir naïf, sensuel, élémentaire de cette omelette baveuse, de ce gratin doré, de cette menthe odorante, de ce chou-fleur grenu sous les doigts, de ce bouquet sauvage posé sur le chêne. Le regard s'éclaire malgré lui, malgré soi; une espèce de chaleur, de sourde satisfaction, monte de la vaisselle rangée, de l'évier étincelant, de la table dressée. Un équilibre s'ébauche ou se rétablit.

Les désarrois peuvent s'ancrer dans ce paisible rituel, trouver la consolation des objets familiers. Le bol épouse la main désemparée, la croûte du pain gratte la joue qui s'y appuie, les oranges luisent, goguenardes, entre les poires ventrues et prêtent à sourire. Les choses nous lâchent moins facilement que les êtres, nous demeurent, alors que tout semble s'évanouir autour de nous.

Colette Nys-Mazure, Célébration du quotidien

Colette Nys-Mazure, poète, Ecrivain

http://www.colettenysmazure.be/



Véronique Gens et la Mélodie Française : Debussy / Fauré


Nuits d’étoiles, C. Debussy / Th. de Banville


Clair de Lune, C. Debussy / P. Verlaine

Clair de lune
Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.


Clair de Lune, G. Fauré / P. Verlaine


Au bord de l’eau, G. Fauré / S. Prudhomme

S'asseoir tous deux au bord d'un flot qui passe,
Le voir passer ;
Tous deux, s'il glisse un nuage en l'espace,
Le voir glisser ;
A l'horizon, s'il fume un toit de chaume,
Le voir fumer ;
Aux alentours, si quelque fleur embaume,
S'en embaumer ;
[Si quelque fruit, où les abeilles goûtent,
Tente, y goûter ;
Si quelque oiseau, dans les bois qui l'écoutent,
Chante, écouter...]
Entendre au pied du saule où l'eau murmure
L'eau murmurer ;
Ne pas sentir, tant que ce rêve dure,
Le temps durer ;
Mais n'apportant de passion profonde
Qu'à s'adorer ;
Sans nul souci des querelles du monde,
Les ignorer ;
Et seuls, heureux devant tout ce qui lasse,
Sans se lasser,
Sentir l'amour, devant tout ce qui passe,
Ne point passer !


Après un Rêve, G. Fauré / R. Bussine


Le papillon et la fleur, G. Fauré / V. Hugo

La pauvre fleur disait au papillon céleste
La pauvre fleur disait au papillon céleste :
- Ne fuis pas !
Vois comme nos destins sont différents. Je reste,
Tu t'en vas !
Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes
Et loin d'eux,
Et nous nous ressemblons, et l'on dit que nous sommes
Fleurs tous deux !
Mais, hélas ! l'air t'emporte et la terre m'enchaîne.
Sort cruel !
Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine
Dans le ciel !
Mais non, tu vas trop loin ! - Parmi des fleurs sans nombre
Vous fuyez,
Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre
A mes pieds.
Tu fuis, puis tu reviens ; puis tu t'en vas encore
Luire ailleurs.
Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore
Toute en pleurs !
Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles,
Ô mon roi,
Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes
Comme à toi !


ENVOI A ***
Roses et papillons, la tombe nous rassemble
Tôt ou tard.
Pourquoi l'attendre, dis ? Veux-tu pas vivre ensemble
Quelque part ?
Quelque part dans les airs, si c'est là que se berce
Ton essor !
Aux champs, si c'est aux champs que ton calice verse
Son trésor !
Où tu voudras ! qu'importe ! oui, que tu sois haleine
Ou couleur,
Papillon rayonnant, corolle à demi pleine,
Aile ou fleur !
Vivre ensemble, d'abord ! c'est le bien nécessaire
Et réel !
Après on peut choisir au hasard, ou la terre
Ou le ciel !

Victor Hugo : Les vents

L’extrême touche l’extrême, et le contraire annonce le contraire (2ème partie, III,1)

Rien n’est menaçant comme l’équinoxe en retard.
Il y a sur la mer un phénomène farouche qu’on pourrait appeler l’arrivée des vents du large.
En toute saison, particulièrement à l’époque des syzygies, à l’instant où l’on doit le moins s’y attendre, la mer est prise soudain d’une tranquillité étrange. Ce prodigieux mouvement perpétuel s’apaise ; il a de l’assoupissement ; il entre en langueur ; il semble qu’il va se donner relâche ; on pourrait le croire fatigué. Tous les chiffons marins, depuis le guidon de pêche jusqu’aux enseignes de guerre, pendent le long des mâts. Les pavillons amiraux, royaux, impériaux, dorment.
Tout à coup ces loques se mettent à remuer discrètement.
C’est le moment, s’il y a des nuages, d’épier la formation des cirrus ; si le soleil se couche, d’examiner la rougeur du soir ; s’il fait nuit et s’il y a lune, d’étudier les halos.
Dans cette minute-là, le capitaine ou le chef d’escadre qui a la chance de posséder un de ces verres-de-tempête dont l’inventeur est inconnu observe ce verre au microscope et prend ses précautions contre le vent du sud si la mixture a un aspect de sucre fondu, et contre le vent du nord si la mixture s’exfolie en cristallisations pareilles à des fourrés de fougères ou à des bois de sapins. Dans cette minute-là, après avoir consulté quelque gnomon mystérieux gravé par les romains, ou par les démons, sur une de ces énigmatiques pierres droites qu’on appelle en Bretagne menhir et en Irlande cruach, le pauvre pêcheur irlandais ou breton retire sa barque de la mer.
Cependant la sérénité du ciel et de l’océan persiste. Le matin se lève radieux et l’aurore sourit ; ce qui remplissait d’horreur religieuse les vieux poëtes et les vieux devins, épouvantés qu’on pût croire à la fausseté du soleil. Solem quis dicere falsum audeat ?
La sombre vision du possible latent est interceptée à l’homme par l’opacité fatale des choses. Le plus redoutable et le plus perfide des aspects, c’est le masque de l’abîme.
On dit : anguille sous roche ; on devrait dire : tempête sous calme.
Quelques heures, quelques jours parfois, se passent ainsi. Les pilotes braquent leurs longues-vues çà et là. Le visage des vieux marins a un air de sévérité qui tient à la colère secrète de l’attente. Subitement on entend un grand murmure confus. Il y a une sorte de dialogue mystérieux dans l’air.
On ne voit rien.
L’étendue demeure impassible. Cependant le bruit s’accroît, grossit, s’élève. Le dialogue s’accentue.
Il y a quelqu’un derrière l’horizon. Quelqu’un de terrible, le vent.
Le vent, c’est-à-dire cette populace de titans que nous appelons les souffles.
L’immense canaille de l’ombre.
L’Inde les nommait les marouts, la Judée les kéroubims, la Grèce les aquilons. Ce sont les invisibles oiseaux fauves de l’infini. Ces borées accourent.

Les vents du large (2ème partie, III, 2)

D’où viennent-ils ? De l’incommensurable. Il faut à leurs envergures le diamètre du gouffre. Leurs ailes démesurées ont besoin du recul indéfini des solitudes. L’Atlantique, le Pacifique, ces vastes ouvertures bleues, voilà ce qui leur convient. Ils les font sombres. Ils y volent en troupes. Le commandant Page a vu une fois sur la haute mer sept trombes à la fois. Ils sont là, farouches. Ils préméditent les désastres. Ils ont pour labeur l’enflure éphémère et éternelle du flot. Ce qu’ils peuvent est ignoré, ce qu’ils veulent est inconnu. Ils sont les sphinx de l’abîme, et Gama est leur Oedipe. Dans cette obscurité de l’étendue qui remue toujours, ils apparaissent, faces de nuées. Qui aperçoit leurs linéaments livides dans cette dispersion qui est l’horizon de la mer, se sent en présence de la force irréductible. On dirait que l’intelligence humaine les inquiète, et ils se hérissent contre elle. L’intelligence est invincible, mais l’élément est imprenable. Que faire contre l’ubiquité insaisissable ? Le souffle se fait massue, puis redevient souffle. Les vents combattent par l’écrasement et se défendent par l’évanouissement. Qui les rencontre est aux expédients. Leur assaut, divers et plein de répercussions, déconcerte. Ils ont autant de fuite que d’attaque. Ils sont les impalpables tenaces. Comment en venir à bout ? La proue du navire argo, sculptée dans un chêne de Dodone, à la fois proue et pilote, leur parlait. Ils brutalisaient cette proue déesse. Christophe Colomb, les voyant venir vers la pinta , montait sur le pont et leur adressait les premiers versets de l’évangile selon Saint Jean. Surcouf les insultait. Voici la clique, disait-il. Napier leur tirait des coups de canon. Ils ont la dictature du chaos.
Ils ont le chaos. Qu’en font-ils ? On ne sait quoi d’implacable. La fosse aux vents est plus monstrueuse que la fosse aux lions. Que de cadavres sous ces plis sans fond ! Les vents poussent sans pitié la grande masse obscure et amère. On les entend toujours, eux ils n’écoutent rien. Ils commettent des choses qui ressemblent à des crimes. On ne sait sur qui ils jettent les arrachements blancs de l’écume. Que de férocité impie dans le naufrage ! Quel affront à la providence ! Ils ont l’air par moment de cracher sur Dieu. Ils sont les tyrans des lieux inconnus. Luoghi spaventosi, murmuraient les marins de Venise.
Les espaces frémissants subissent leurs voies de fait. Ce qui se passe dans ces grands abandons est inexprimable. Quelqu’un d’équestre est mêlé à l’ombre. L’air fait un bruit de forêt. On n’aperçoit rien, et l’on entend des cavaleries. Il est midi, tout à coup il fait nuit ; un tornado passe ; il est minuit, tout à coup il fait jour ; l’effluve polaire s’allume. Des tourbillons alternent en sens inverse, sorte de danse hideuse, trépignement des fléaux sur l’élément. Un nuage trop lourd se casse par le milieu, et tombe en morceaux dans la mer. D’autres nuages, pleins de pourpre, éclairent et grondent, puis s’obscurcissent lugubrement ; le nuage vidé de foudre noircit, c’est un charbon éteint. Des sacs de pluie se crèvent en brume. Là une fournaise où il pleut ; là une onde d’où se dégage un flamboiement. Les blancheurs de la mer sous l’averse éclairent des lointains surprenants ; on voit se déformer des épaisseurs où errent des ressemblances. Des nombrils monstrueux creusent les nuées. Les vapeurs tournoient, les vagues pirouettent ; les naïades ivres roulent ; à perte de vue, la mer massive et molle se meut sans se déplacer ; tout est livide ; des cris désespérés sortent de cette pâleur.
Au fond de l’obscurité inaccessible, de grandes gerbes d’ombre frissonnent. Par moments, il y a paroxysme. La rumeur devient tumulte, de même que la vague devient houle. L’horizon, superposition confuse de lames, oscillation sans fin, murmure en basse continue ; des jets de fracas y éclatent bizarrement ; on croit entendre éternuer des hydres. Des souffles froids surviennent, puis des souffles chauds. La trépidation de la mer annonce une épouvante qui s’attend à tout. Inquiétude. Angoisse. Terreur profonde des eaux. Subitement, l’ouragan, comme une bête, vient boire à l’océan ; succion inouïe ; l’eau monte vers la bouche invisible, une ventouse se forme, la tumeur enfle ; c’est la trombe, le prester des anciens, stalactite en haut, stalagmite en bas, double cône inverse tournant, une pointe en équilibre sur l’autre, baiser de deux montagnes, une montagne d’écume qui s’élève, une montagne de nuée qui descend ; effrayant coït de l’onde et de l’ombre. La trombe, comme la colonne de la bible, est ténébreuse le jour et lumineuse la nuit. Devant la trombe le tonnerre se tait. Il semble qu’il ait peur.
Le vaste trouble des solitudes a une gamme ; crescendo redoutable : le grain, la rafale, la bourrasque, l’orage, la tourmente, la tempête, la trombe ; les sept cordes de la lyre des vents, les sept notes de l’abîme. Le ciel est une largeur, la mer est une rondeur ; une haleine passe, il n’y a plus rien de tout cela, tout est furie et pêle-mêle.
Tels sont ces lieux sévères.
Les vents courent, volent, s’abattent, finissent, recommencent, planent, sifflent, mugissent, rient ; frénétiques, lascifs, effrénés, prenant leurs aises sur la vague irascible. Ces hurleurs ont une harmonie. Ils font tout le ciel sonore. Ils soufflent dans la nuée comme dans un cuivre, ils embouchent l’espace ; et ils chantent dans l’infini, avec toutes les voix amalgamées des clairons, des buccins, des olifants, des bugles et des trompettes, une sorte de fanfare prométhéenne. Qui les entend écoute Pan. Ce qu’il y a d’effroyable, c’est qu’ils jouent. Ils ont une colossale joie composée d’ombre. Ils font dans les solitudes la battue des navires. Sans trêve, jour et nuit, en toute saison, au tropique comme au pôle, en sonnant dans leur trompe éperdue, ils mènent, à travers les enchevêtrements de la nuée et de la vague, la grande chasse noire des naufrages. Ils sont des maîtres de meutes. Ils s’amusent. Ils font aboyer après les roches les flots, ces chiens. Ils combinent les nuages, et les désagrègent. Ils pétrissent, comme avec des millions de mains, la souplesse de l’eau immense.
L’eau est souple parce qu’elle est incompressible. Elle glisse sous l’effort. Chargée d’un côté, elle échappe de l’autre. C’est ainsi que l’eau se fait l’onde. La vague est sa liberté.

Victor Hugo, Les travailleurs de la mer

Victor Hugo : Le monstre

Le monstre (2ème partie, IV,2)

Pour croire à la pieuvre, il faut l’avoir vue.
Comparées à la pieuvre, les vieilles hydres font sourire.
A de certains moments, on serait tenté de le penser, l’insaisissable qui flotte en nos songes rencontre dans le possible des aimants auxquels ses linéaments se prennent, et de ces obscures fixations du rêve il sort des êtres. L’inconnu dispose du prodige, et il s’en sert pour composer le monstre. Orphée, Homère et Hésiode n’ont pu faire que la Chimère ; Dieu a fait la pieuvre.
Quand Dieu veut, il excelle dans l’exécrable.
Le pourquoi de cette volonté est l’effroi du penseur religieux.
Tous les idéals étant admis, si l’épouvante est un but, la pieuvre est un chef-d’oeuvre.
La baleine a l’énormité, la pieuvre est petite ; l’hippopotame a une cuirasse, la pieuvre est nue ; la jararaca a un sifflement, la pieuvre est muette ; le rhinocéros a une corne, la pieuvre n’a pas de corne ; le scorpion a un dard, la pieuvre n’a pas de dard ; le buthus a des pinces, la pieuvre n’a pas de pinces ; l’alouate a une queue prenante, la pieuvre n’a pas de queue ; le requin a des nageoires tranchantes, la pieuvre n’a pas de nageoires ; le vespertilio-vampire a des ailes onglées, la pieuvre n’a pas d’ailes ; le hérisson a des épines, la pieuvre n’a pas d’épines ; l’espadon a un glaive, la pieuvre n’a pas de glaive ; la torpille a une foudre, la pieuvre n’a pas d’effluve ; le crapaud a un virus, la pieuvre n’a pas de virus ; la vipère a un venin, la pieuvre n’a pas de venin ; le lion a des griffes, la pieuvre n’a pas de griffes ; le gypaète a un bec, la pieuvre n’a pas de bec ; le crocodile a une gueule, la pieuvre n’a pas de dents.
La pieuvre n’a pas de masse musculaire, pas de cri menaçant, pas de cuirasse, pas de corne, pas de dard, pas de pince, pas de queue prenante ou contondante, pas d’ailerons tranchants, pas d’ailerons onglés, pas d’épines, pas d’épée, pas de décharge électrique, pas de virus, pas de venin, pas de griffes, pas de bec, pas de dents. La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée.
Qu’est-ce donc que la pieuvre ? C’est la ventouse.
Dans les écueils de pleine mer, là où l’eau étale et cache toutes ses splendeurs, dans les creux de roches non visités, dans les caves inconnues où abondent les végétations, les crustacés et les coquillages, sous les profonds portails de l’océan, le nageur qui s’y hasarde, entraîné par la beauté du lieu, court le risque d’une rencontre. Si vous faites cette rencontre, ne soyez pas curieux, évadez-vous. On entre ébloui, on sort terrifié.
Voici ce que c’est que cette rencontre, toujours possible dans les roches du large.
Une forme grisâtre oscille dans l’eau ; c’est gros comme le bras et long d’une demi-aune environ ; c’est un chiffon ; cette forme ressemble à un parapluie fermé qui n’aurait pas de manche. Cette loque avance vers vous peu à peu. Soudain, elle s’ouvre, huit rayons s’écartent brusquement autour d’une face qui a deux yeux ; ces rayons vivent ; il y a du flamboiement dans leur ondoiement ; c’est une sorte de roue ; déployée, elle a quatre ou cinq pieds de diamètre. épanouissement effroyable. Cela se jette sur vous.
L’hydre harponne l’homme.
Cette bête s’applique sur sa proie, la recouvre, et la noue de ses longues bandes. En dessous elle est jaunâtre, en dessus elle est terreuse ; rien ne saurait rendre cette inexplicable nuance poussière ; on dirait une bête faite de cendre qui habite l’eau. Elle est arachnide par la forme et caméléon par la coloration. Irritée, elle devient violette. Chose épouvantable, c’est mou.
Ses noeuds garrottent ; son contact paralyse.
Elle a un aspect de scorbut et de gangrène ; c’est de la maladie arrangée en monstruosité.
Elle est inarrachable. Elle adhère étroitement à sa proie. Comment ? Par le vide. Les huit antennes, larges à l’origine, vont s’effilant et s’achèvent en aiguilles. Sous chacune d’elles s’allongent parallèlement deux rangées de pustules décroissantes, les grosses près de la tête, les petites à la pointe. Chaque rangée est de vingt-cinq ; il y a cinquante pustules par antenne, et toute la bête en a quatre cents. Ces pustules sont des ventouses.
Ces ventouses sont des cartilages cylindriques, cornés, livides. Sur la grande espèce, elles vont diminuant du diamètre d’une pièce de cinq francs à la grosseur d’une lentille. Ces tronçons de tubes sortent de l’animal et y rentrent. Ils peuvent s’enfoncer dans la proie de plus d’un pouce.
Cet appareil de succion a toute la délicatesse d’un clavier. Il se dresse, puis se dérobe. Il obéit à la moindre intention de l’animal. Les sensibilités les plus exquises n’égalent pas la contractilité de ces ventouses, toujours proportionnée aux mouvements intérieurs de la bête et aux incidents extérieurs. Ce dragon est une sensitive. Ce monstre est celui que les marins appellent poulpe, que la science appelle céphalopode, et que la légende appelle kraken. Les matelots anglais l’appellent devil-fish, le poisson-diable. Ils l’appellent aussi blood-sucker , suceur de sang. Dans les îles de la Manche on le nomme la pieuvre.
Il est très rare à Guernesey, très petit à Jersey, très gros et assez fréquent à Serk.
Une estampe de l’édition de Buffon par Sonnini représente un céphalopode étreignant une frégate. Denis Montfort pense qu’en effet le poulpe des hautes latitudes est de force à couler un navire. Bory Saint-Vincent le nie, mais constate que dans nos régions il attaque l’homme. Allez à Serk, on vous montrera près de Brecq-Hou le creux de rocher où une pieuvre, il y a quelques années, a saisi, retenu et noyé un pêcheur de homards. Péron et Lamarck se trompent quand ils doutent que le poulpe, n’ayant pas de nageoires, puisse nager. Celui qui écrit ces lignes a vu de ses yeux à Serk, dans la cave dite les boutiques, une pieuvre poursuivre à la nage un baigneur. Tuée, on la mesura, elle avait quatre pieds anglais d’envergure, et l’on put compter les quatre cents suçoirs. La bête agonisante les poussait hors d’elle convulsivement.
Selon Denis Montfort, un de ces observateurs que l’intuition à haute dose fait descendre ou monter jusqu’au magisme, le poulpe a presque des passions d’homme ; le poulpe hait. En effet, dans l’absolu, être hideux, c’est haïr.
Le difforme se débat sous une nécessité d’élimination qui le rend hostile.
La pieuvre nageant reste, pour ainsi dire, dans le fourreau. Elle nage, tous ses plis serrés. Qu’on se représente une manche cousue avec un poing dedans. Ce poing, qui est la tête, pousse le liquide et avance d’un vague mouvement ondulatoire. Ses deux yeux, quoique gros, sont peu distincts, étant de la couleur de l’eau. La pieuvre en chasse ou au guet se dérobe ; elle se rapetisse, elle se condense ; elle se réduit à sa plus simple expression. Elle se confond avec la pénombre. Elle a l’air d’un pli de la vague. Elle ressemble à tout, excepté à quelque chose de vivant.
La pieuvre, c’est l’hypocrite. On n’y fait pas attention ; brusquement, elle s’ouvre.
Une viscosité qui a une volonté, quoi de plus effroyable ! De la glu pétrie de haine.
C’est dans le plus bel azur de l’eau limpide que surgit cette hideuse étoile vorace de la mer. Elle n’a pas d’approche, ce qui est terrible. Presque toujours, quand on la voit, on est pris.
La nuit, pourtant, et particulièrement dans la saison du rut, elle est phosphorescente. Cette épouvante a ses amours. Elle attend l’hymen. Elle se fait belle, elle s’allume, elle s’illumine, et, du haut de quelque rocher, on peut l’apercevoir au-dessous de soi dans les profondes ténèbres épanouie en une irradiation blême, soleil spectre.
La pieuvre nage ; elle marche aussi. Elle est un peu poisson, ce qui ne l’empêche pas d’être un peu reptile. Elle rampe sur le fond de la mer. En marche elle utilise ses huit pattes. Elle se traîne à la façon de la chenille arpenteuse.
Elle n’a pas d’os, elle n’a pas de sang, elle n’a pas de chair. Elle est flasque. Il n’y a rien dedans. C’est une peau. On peut retourner ses huit tentacules du dedans au dehors comme des doigts de gants.
Elle a un seul orifice, au centre de son rayonnement. Cet hiatus unique, est-ce l’anus ? Est-ce la bouche ? C’est les deux.
La même ouverture fait les deux fonctions. L’entrée est l’issue. Toute la bête est froide.
Le carnasse de la Méditerranée est repoussant. C’est un contact odieux que cette gélatine animée qui enveloppe le nageur, où les mains s’enfoncent, où les ongles labourent, qu’on déchire sans la tuer, et qu’on arrache sans l’ôter, espèce d’être coulant et tenace qui vous passe entre les doigts ; mais aucune stupeur n’égale la subite apparition de la pieuvre, Méduse servie par huit serpents.
Pas de saisissement pareil à l’étreinte du céphalopode.
C’est la machine pneumatique qui vous attaque. Vous avez affaire au vide ayant des pattes. Ni coups d’ongle, ni coups de dents ; une scarification indicible. Une morsure est redoutable ; moins qu’une succion. La griffe n’es rien près de la ventouse. La griffe, c’est la bête qui entre dans votre chair ; la ventouse, c’est vous-même qui entrez dans la bête. Vos muscles s’enflent, vos fibres se tordent, votre peau éclate sous une pesée immonde, votre sang jaillit et se mêle affreusement à la lymphe du mollusque. La bête se superpose à vous par mille bouches infâmes ; l’hydre s’incorpore à l’homme ; l’homme s’amalgame à l’hydre. Vous ne faites qu’un. Ce rêve est sur vous. Le tigre ne peut que vous dévorer ; le poulpe, horreur ! Vous aspire. Il vous tire à lui et en lui, et, lié, englué, impuissant, vous vous sentez lentement vidé dans cet épouvantable sac, qui est un monstre.
Au delà du terrible, être mangé vivant, il y a l’inexprimable, être bu vivant.
Ces étranges animaux, la science les rejette d’abord, selon son habitude d’excessive prudence, même vis-à-vis des faits, puis elle se décide à les étudier ; elle les dissèque, elle les classe, elle les catalogue, elle leur met une étiquette ; elle s’en procure des exemplaires ; elle les expose sous verre dans les musées ; ils entrent dans la nomenclature ; elle les qualifie mollusques, invertébrés, rayonnés ; elle constate leurs voisinages : un peu au delà les calmars, un peu en deçà les sépiaires ; elle trouve à ces hydres de l’eau salée un analogue dans l’eau douce, l’argyronecte ; elle les divise en grande, moyenne et petite espèce ; elle admet plus aisément la petite espèce que la grande, ce qui est d’ailleurs, dans toutes les régions, la tendance de la science, laquelle est plus volontiers microscopique que télescopique ; elle regarde leur construction et les appelle céphalopodes, elle compte leurs antennes et les appelle octopèdes. Cela fait, elle les laisse là. Où la science les lâche, la philosophie les reprend.

La philosophie étudie à son tour ces êtres. Elle va moins loin et plus loin que la science. Elle ne les dissèque pas, elle les médite. Où le scalpel a travaillé, elle plonge l’hypothèse. Elle cherche la cause finale. Profond tourment du penseur. Ces créatures l’inquiètent presque sur le créateur. Elles sont les surprises hideuses. Elles sont les trouble-fête du contemplateur. Il les constate éperdu. Elles sont les formes voulues du mal. Que devenir devant ces blasphèmes de la création contre elle-même ? à qui s’en prendre ?
Le Possible est une matrice formidable. Le mystère se concrète en monstres. Des morceaux d’ombre sortent de ce bloc, l’immanence, se déchirent, se détachent, roulent, flottent, se condensent, font des emprunts à la noirceur ambiante, subissent des polarisations inconnues, prennent vie, se composent on ne sait quelle forme avec l’obscurité et on ne sait quelle âme avec le miasme, et s’en vont, larves, à travers la vitalité. C’est quelque chose comme les ténèbres faites bêtes. A quoi bon ? A quoi cela sert-il ? Rechute de la question éternelle.
Ces animaux sont fantômes autant que monstres. Ils sont prouvés et improbables. Etre est leur fait, ne pas être serait leur droit. Ils sont les amphibies de la mort. Leur invraisemblance complique leur existence. Ils touchent la frontière humaine et peuplent la limite chimérique. Vous niez le vampire, la pieuvre apparaît. Leur fourmillement est une certitude qui déconcerte notre assurance. L’optimisme, qui est le vrai pourtant, perd presque contenance devant eux. Ils sont l’extrémité visible des cercles noirs. Ils marquent la transition de notre réalité à une autre. Ils semblent appartenir à ce commencement d’êtres terribles que le songeur entrevoit confusément par le soupirail de la nuit.
Ces prolongements de monstres, dans l’invisible d’abord, dans le possible ensuite, ont été soupçonnés, aperçus peut-être, par l’extase sévère et par l’oeil fixe des mages et des philosophes. De là la conjecture d’un enfer. Le démon est le tigre de l’invisible. La bête fauve des âmes a été dénoncée au genre humain par deux visionnaires, l’un qui s’appelle Jean, l’autre qui s’appelle Dante.
Si en effet les cercles de l’ombre continuent indéfiniment, si après un anneau il y en a un autre, si cette aggravation persiste en progression illimitée, si cette chaîne, dont pour notre part nous sommes résolu à douter, existe, il est certain que la pieuvre à une extrémité prouve Satan à l’autre.
Il est certain que le méchant à un bout prouve à l’autre bout la méchanceté. Toute bête mauvaise, comme toute intelligence perverse, est sphinx.
Sphinx terrible proposant l’énigme terrible. L’énigme du mal.
C’est cette perfection du mal qui a fait pencher parfois de grands esprits vers la croyance au dieu double, vers le redoutable bi-frons des manichéens.
Une soie chinoise, volée dans la dernière guerre au palais de l’empereur de la Chine, représente le requin qui mange le crocodile qui mange le serpent qui mange l’aigle qui mange l’hirondelle qui mange la chenille.
Toute la nature que nous avons sous les yeux est mangeante et mangée. Les proies s’entremordent.
Cependant des savants qui sont aussi des philosophes, et par conséquent bienveillants pour la création, trouvent ou croient trouver l’explication. Le but final frappe, entre autres, Bonnet de Genève, ce mystérieux esprit exact, qui fut opposé à Buffon, comme plus tard Geoffroy Saint-Hilaire l’a été à Cuvier. L’explication serait ceci : la mort partout exige l’ensevelissement partout. Les voraces sont des ensevelisseurs.
Tous les êtres rentrent les uns dans les autres. Pourriture, c’est nourriture. Nettoyage effrayant du globe. L’homme, carnassier, est, lui aussi, un enterreur. Notre vie est faite de mort. Telle est la loi terrifiante. Nous sommes sépulcres.
Dans notre monde crépusculaire, cette fatalité de l’ordre produit des monstres. Vous dites : à quoi bon ? Le voilà.
Est-ce l’explication ? Est-ce la réponse à la question ? Mais alors pourquoi pas un autre ordre ? La question renaît.
Vivons, soit.
Mais tâchons que la mort nous soit progrès. Aspirons aux mondes moins ténébreux.
Suivons la conscience qui nous y mène.
Car, ne l’oublions jamais, le mieux n’est trouvé que par le meilleur.

Victor Hugo, Les travailleurs de la mer


Victor Hugo : L'homme du songe

À maison visionnée habitant visionnaire (1ère partie, I,7)

Gilliatt était l’homme du songe. De là ses audaces, de là aussi ses timidités. Il avait ses idées à lui.
Peut-être y avait-il en Gilliatt de l’halluciné et de l’illuminé. L’hallucination hante tout aussi bien un paysan comme Martin qu’un roi comme Henri IV. L’inconnu fait parfois à l’esprit de l’homme des surprises. Une brusque déchirure de l’ombre laisse tout à coup voir l’invisible, puis se referme. Ces visions sont quelquefois transfiguratrices ; elles font d’un chamelier Mahomet et d’une chevrière Jeanne D’Arc. La solitude dégage une certaine quantité d’égarement sublime. C’est la fumée du buisson ardent. Il en résulte un mystérieux tremblement d’idées qui dilate le docteur en voyant et le poète en prophète ; il en résulte Horeb, le Cédron, Ombos, les ivresses du laurier de Castalie mâché, les révélations du mois busion ; il en résulte Péleïa à Dodone, Phémonoë à Delphes, Trophonius à Lébadée, Ezéchiel sur le Kébar, Jérôme dans la Thébaïde. Le plus souvent, l’état visionnaire accable l’homme, et le stupéfie. L’abrutissement sacré existe. Le fakir a pour fardeau sa vision comme le crétin son goître. Luther parlant aux diables dans le grenier de Wittemberg, Pascal masquant l’enfer avec le paravent de son cabinet, l’obi nègre dialoguant avec le dieu Bossum à face blanche, c’est le même phénomène, diversement porté par les cerveaux qu’il traverse, selon leur force et leur dimension. Luther et Pascal sont et restent grands ; l’obi est imbécile.
Gilliatt n’était ni si haut, ni si bas. C’était un pensif. Rien de plus.
Il voyait la nature un peu étrangement. De ce qu’il lui était arrivé plusieurs fois de trouver dans de l’eau de mer parfaitement limpide d’assez gros animaux inattendus, de formes diverses, de l’espèce méduse, qui, hors de l’eau, ressemblaient à du cristal mou, et qui, rejetés dans l’eau, s’y confondaient avec leur milieu, par l’identité de diaphanéité et de couleur, au point d’y disparaître, il concluait que, puisque des transparences vivantes habitaient l’eau, d’autres transparences, également vivantes, pouvaient bien habiter l’air. Les oiseaux ne sont pas les habitants de l’air ; ils en sont les amphibies. Gilliatt ne croyait pas à l’air désert. Il disait : puisque la mer est remplie, pourquoi l’atmosphère serait-elle vide ? Des créatures couleur d’air s’effaceraient dans la lumière et échapperaient à notre regard ; qui nous prouve qu’il n’y en a pas ? L’analogie indique que l’air doit avoir ses poissons comme la mer a les siens ; ces poissons de l’air seraient diaphanes, bienfait de la prévoyance créatrice pour nous comme pour eux ; laissant passer le jour à travers leur forme et ne faisant point d’ombre et n’ayant pas de silhouette, ils resteraient ignorés de nous, et nous n’en pourrions rien saisir. Gilliatt imaginait que si l’on pouvait mettre la terre à sec d’atmosphère, et que si l’on pêchait l’air comme on pêche un étang, on y trouverait une foule d’êtres surprenants. Et, ajoutait-il dans sa rêverie, bien des choses s’expliqueraient.
La rêverie, qui est la pensée à l’état de nébuleuse, confine au sommeil, et s’en préoccupe comme de sa frontière. L’air habité par des transparences vivantes, ce serait le commencement de l’inconnu ; mais au delà s’offre la vaste ouverture du possible. Là d’autres êtres, là d’autres faits. Aucun surnaturalisme, mais la continuation occulte de la nature infinie. Gilliatt, dans ce désoeuvrement laborieux qui était son existence, était un bizarre observateur. Il allait jusqu’à observer le sommeil. Le sommeil est en contact avec le possible, que nous nommons aussi l’invraisemblable. Le monde nocturne est un monde. La nuit, en tant que nuit, est un univers. L’organisme matériel humain, sur lequel pèse une colonne atmosphérique de quinze lieues de haut, est fatigué le soir, il tombe de lassitude, il se couche, il se repose ; les yeux de chair se ferment ; alors dans cette tête assoupie, moins inerte qu’on ne croit, d’autres yeux s’ouvrent ; l’inconnu apparaît. Les choses sombres du monde ignoré deviennent voisines de l’homme, soit qu’il y ait communication véritable, soit que les lointains de l’abîme aient un grossissement visionnaire ; il semble que les vivants indistincts de l’espace viennent nous regarder et qu’ils aient une curiosité de nous, les vivants terrestres ; une création fantôme monte ou descend vers nous et nous côtoie dans un crépuscule ; devant notre contemplation spectrale, une vie autre que la nôtre s’agrège et se désagrège, composée de nous-mêmes et d’autre chose ; et le dormeur, pas tout à fait voyant, pas tout à fait inconscient, entrevoit ces animalités étranges, ces végétations extraordinaires, ces lividités terribles ou souriantes, ces larves, ces masques, ces figures, ces hydres, ces confusions, ce clair de lune sans lune, ces obscures décompositions du prodige, ces croissances et ces décroissances dans une épaisseur trouble, ces flottaisons de formes dans les ténèbres, tout ce mystère que nous appelons le songe et qui n’est autre chose que l’approche d’une réalité invisible. Le rêve est l’aquarium de la nuit.
Ainsi songeait Gilliatt.

Victor Hugo, Les travailleurs de la mer

J.-J. Goldman : Nos mains


nos mains
envoyé par lylybel

Les loups

The story of stuff : système en crise




Strange Fruit




B.Holiday

http://fr.wikipedia.org/wiki/Strange_Fruit

C. Marot / A. Souchon : Le sens de la vie

Blason du beau tétin

Tétin refait, plus blanc qu'un œuf,
Tétin de satin blanc tout neuf,
Toi qui fait honte à la rose
Tétin plus beau que nulle chose,
Tétin dur, non pas tétin voire
Mais petite boule d'ivoire
Au milieu duquel est assise
Une fraise ou une cerise
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gage qu'il en est ainsi.
Tétin donc au petit bout rouge,
Tétin qui jamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller
Tétin gauche, tétin mignon,
Toujours loin de son compagnon,
Tétin qui portes témoignage
Du demeurant du personnage,
Quand on te voit, il vient à maints
Une envie dedans les mains
De te tâter, de te tenir :
Mais il se faut bien contenir
D'en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendrait une autre envie.
Ô tétin, ni grand ni petit,
Tétin mûr, tétin d'appétit,
Tétin qui nuit et jour criez
«Mariez moi tôt, mariez !»
Tétin qui t'enfles, et repousses
Ton gorgias de deux bons pouces :
A bon droit heureux on dira
Celui qui de lait t'emplira,
Faisant d'un tétin de pucelle,
Tétin de femme entière et belle.

Clément Marot, Épigrammes



Soir de juin




Il a plu. Soir de juin. Ecoute

Il a plu. Soir de juin. Ecoute,
Par la fenêtre large ouverte,
Tomber le reste de l'averse
De feuille en feuille, goutte à goutte.

C'est l'heure choisie entre toutes
Où flotte à travers la campagne
L'odeur de vanille qu'exhale
La poussière humide des routes.

L'hirondelle joyeuse jase.
Le soleil déclinant se croise
Avec la nuit sur les collines ;
Et son mourant sourire essuie
Sur la chair pâle des glycines
Les cheveux d'argent de la pluie.

Charles Guérin, Le cœur solitaire

Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre





Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre :
La gueuse, de mon âme, emprunte tout son lustre ;
Invisible aux regards de l'univers moqueur,
Sa beauté ne fleurit que dans mon triste coeur.

Pour avoir des souliers elle a vendu son âme.
Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme,
Je tranchais du Tartuffe et singeais la hauteur,
Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur.

Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque.
Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque ;
Ce qui n'empêche pas les baisers amoureux.
De pleuvoir sur son front plus pelé qu'un lépreux.

Elle louche, et l'effet de ce regard étrange
Qu'ombragent des cils noirs plus longs que ceux d'un ange,
Est tel que tous les yeux pour qui l'on s'est damné
Ne valent pas pour moi son oeil juif et cerné.

Elle n'a que vingt ans ; - la gorge déjà basse
Pend de chaque côté comme une calebasse,
Et pourtant, me traînant chaque nuit sur son corps,
Ainsi qu'un nouveau-né, je la tette et la mords,

Et bien qu'elle n'ait pas souvent même une obole
Pour se frotter la chair et pour s'oindre l'épaule,
Je la lèche en silence avec plus de ferveur
Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur.

La pauvre créature, au plaisir essoufflée,
A de rauques hoquets la poitrine gonflée,
Et je devine au bruit de son souffle brutal
Qu'elle a souvent mordu le pain de l'hôpital.

Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle,
Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle,
Car, ayant trop ouvert son coeur à tous venants,
Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.

Ce qui fait que de suif elle use plus de livres
Qu'un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres,
Et redoute bien moins la faim et ses tourments
Que l'apparition de ses défunts amants.

Si vous la rencontrez, bizarrement parée,
Se faufilant, au coin d'une rue égarée,
Et la tête et l'oeil bas comme un pigeon blessé,
Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,

Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d'ordure
Au visage fardé de cette pauvre impure
Que déesse Famine a par un soir d'hiver,
Contrainte à relever ses jupons en plein air.

Cette bohème-là, c'est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m'a bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon coeur.

Charles Baudelaire, Poésies

Bon anniversaire Natascha

Mexiiiiiicoooo : L. Mariano / R. Alagna




l'Arpeggiata / C. Pluhar. Danses.


Chaconne, Cazzati



Tarentelle, Kircher

http://fr.wikipedia.org/wiki/Athanasius_Kircher

Après trois ans


Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.
Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens

Time after time


E. Cassidy

La Belle

Monteverdi, Vespra della Beata Vergine, Magnificat




J. Savall, Hespérion XX, La Capella Reial de Catalunya

Vivaldi, Nisi Dominus


A Scholl, P. Dyer, Australian Brandenburg Orchestra.

Les demoiselles de Rochefort


Chantez la vie


Gene Kelly






Gene kelly & françoise Dorléac


Les demoiselles ont eu 25 ans

Jeanne Cherhal


Merci


Douze fois par an


Quand on est très amoureux

Sainte

A la fenêtre recélant
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou mandore,

Est la Sainte pâle, étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre et complie :

A ce vitrage d'ostensoir
Que frôle une harpe par l'Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange

Du doigt, que, sans le vieux santal
Ni le vieux livre, elle balance
Sur le plumage instrumental,
Musicienne du silence.

Stéphane Mallarmé

Le Temps des Cerises






Louise Michel, 1855



http://www.chanson.udenap.org/50_chansons/01_temps_des_cerises_le.htm
http://fr.wikipedia.org/wiki/Semaine_sanglante
http://fr.wikipedia.org/wiki/Louise_Michel

Les Mains d’or


B. Lavilliers, B. Medellin

Philippe Forest : "Le travail du deuil"

« L’idée même qu’un « travail du deuil » soit possible repose sur la conviction qu’un être est substituable à un autre. On pense la mort par analogie avec cette autre expérience de la perte que constitue la rupture amoureuse. Mais il faut ne jamais avoir vraiment aimé pour se convaincre que même l’euphorie érotique dans laquelle plonge l’expérience d’un nouvel amour suffise à effacer le chagrin du départ, l’irréparable sentiment d’absence que laisse en soi le manque de l’être que l’on a un jour tenu contre soi.

Aucun individu n’en remplace jamais aucun autre. Et la mort accuse encore l’impression d’irrémédiable qui s’attache à une telle vérité. Le commerce amoureux déjà, fait éprouver ce qu’il y a d’impossible dans l’échange des corps, dans le passage de l’un à l’autre qui les tient pour interchangeables, proies indifférentes d’une même jouissance qui se satisfait de la substitution d’un simulacre à un autre. Le deuil davantage.

Du concept de « travail du deuil », que Freud a expérimentalement hasardé, la psychologie actuelle a fait un impératif dont tout le discours régnant répète la nécessité. Le retrait des rites, en lieu et place de ceux-ci, a favorisé le développement d’un vrai catéchisme constitué. Celui-ci est censé assister les individus en les aidant à traverser les épreuves de la vie et en promettant de favoriser leur épanouissement personnel. Toute une littérature prolifère ainsi dont les thèses – largement relayées par la culture de masse, sur les plateaux de télévision ou dans les pages des magazines – ont fini par acquérir force de vérité quasi scientifique, au point de n’être plus contestées par personne et de commander automatiquement toute philosophie implicite de l’existence.

Un tel discours fait de la souffrance et de la mort ses objets de prédilection. Mais le traitement qu’il leur fait subir, afin de les rendre socialement recevables, consiste à les vider de toute leur signification tragique en les soumettant à l’impératif d’un positive thinking qui, tout en réveillant tout ce que le dolorisme chrétien comportait de plus rétrograde, se retrouve admirablement en phase avec l’optimisme idéologique du présent et susceptible de se formuler aussi dans la langue de toutes les faibles croyances contemporaines du New Age. La visée explicite d’un tel discours, aujourd’hui triomphant, tend à attribuer une valeur finalement positive à la douleur physique et psychique.

Le « travail du deuil » finit même par s’opérer par anticipation. Avant même que la mort soit acquise, on nous presse de donner notre assentiment à celle-ci, la déclarant en quelque sorte nulle et non avenue, légitimant par avance ce « passage au suivant » auquel on nous invite. Car l’essentiel selon la très pesante morale qu’on nous impose désormais et comme le veut la formule passe-partout des conversations et débats d’aujourd’hui, consiste dans sa vie amoureuse ou professionnelle, dans toutes les expériences de son existence à savoir «rebondir»

C’est ainsi qu’on nous enseigne désormais que mourir est un art. Et cela revient à dire que la mort est elle-même beauté – quand elle n’est biensûr que laideur et déchirante détresse. Le mythe de la mort édifiante se voit ainsi remis au goût du jour.

[…]

La souffrance se voit ainsi sacralisée pour l’éveil spirituel qu’elle est supposée procurer. Une version plus laïque du même discours présente la malchance comme une opportunité qu’il appartient à l’individu de saisir afin de devenir lui-même et de transformer son pathétique destin en une success-story. Le concept de « résilience » dont on sait l’incroyable fortune médiatique, veut que le traumatisme originel subi par certains individus leur confère, en réaction, des ressources morales insoupçonnables qui vont leur permettre de triompher de l’adversité. Les enfants font encore les frais de la démonstration. Présentés comme des traités scientifiques, des livres se multiplient qui ont plutôt l’apparence de recueils d’historiettes émouvantes qui relatent toutes comment un être a priori condamné par l’existence est parvenu à renverser le cours de son histoire pour accéder enfin à une forme admirable de réussite personnelle et sociale. Ils reconnaissent s’inspirer de la vérité immémoriale des contes de fées qui relatent comment le méchant petit canard est devenu un cygne fabuleux. Mais ils ressemblent plutôt aux récits vécus qui ont fait autrefois la fortune de l’ineffable Sélection du Reader’s Digest.

[…]

Il n’est pas indifférent que tous les discours qui entreprennent aujourd’hui de conférer une valeur positive à la mort ou au malheur se caractérisent par une même attitude d’indifférence ou d’hostilité à l’égard de la psychanalyse. Qu’ils se réclament de la psychologie ou de l’éthologie, bien qu’ils revendiquent une discutable autorité venue de la clinique, au bout du compte, ils servent le vieux discours de la religion ou de l’idéologie, toutes deux attachées à faire se résorber l’expérience du négatif au sein d’une parole lénifiante de consolation et de réconciliation. On conçoit qu’ils éprouvent une réelle méfiance à l’égard de toute forme de réflexion critique qui pourrait s’appliquer à eux et entamer le monopole qu’ils exercent de fait dans le domaine des représentations collectives. La pensée freudienne, s’ils s’en réclament, c’est au prix d’un effort évident de falsification qui consiste à isoler certains concepts aisément recyclables – ainsi le « travail du deuil » – tout en les détachant de la démonstration d’ensemble qui, seule, leur donne sens.

Il faut dire que cette falsification est elle-même facilitée par les ambiguïtés et les contradictions de la psychanalyse. D’un côté, celle-ci , dans son désir de tout expliquer, entreprend elle aussi d’attribuer une signification à la souffrance et de l’interpréter comme l’expression inconsciente d’un désir de mortification attribuable au patient lui-même – c’est sur ce point précis que portait la critique légitime adressée par Susan Sontag à Reich ou à Groddeck. Mais, de l’autre, le pessimisme tragique dont elle est solidaire et qui la conduit à faire dépendre toute existence d’une certaine expérience du manque en fait l’un des plus efficaces antidotes contre toute vision positive et normative de l’individu. Ces deux tentations s’affrontent. Et si le concept de « travail du deuil » continue à dominer le discours des psychanalystes, il suscite cependant souvent la perplexité, voire la critique, de certains, dont il n’est pas difficile de deviner qu’une expérience personnelle les a conduits à refuser la vulgate de leur profession. Avec ces derniers, j’ai souvent eu le sentiment de mieux m’entendre. Je veux dire de mieux me comprendre.

Je m’arrête un peu sur le livre de Jean Allouch – Erotique du deuil au temps de la mort sèche – pour la sympathie que j’éprouve à l’égard d’une démonstration que je ne suis pas capable de suivre dans tous ses détours par défaut de familiarité avec la culture psychanalytique mais dont j’ai le sentiment de l’avoir suffisamment comprise pour en apprécier la justesse.

[…]

Le deuil, explique Jean Allouch, ne relève pas d’un travail mais d’un sacrifice. Il suppose cet abandon de soi, cette mutilation volontaire par laquelle le vivant laisse le mort emporter une partie de lui au tombeau. En ce sens il constitue le contraire de la psychose, caractérisée par le symptôme et l’hallucination, car à l’inverse de celle-ci il est non pas le « retour dans le réel de ce qui aura été forclos du symbolique mais appel au symbolique et à l’imaginaire par l’ouverture d’un trou dans le réel ». Envisager le deuil en termes de travail revient à considérer que les objets du désir sont interchangeables, qu’ils sont comme les fétiches indifférents à l’aide desquels, les substituant les uns aux autres, l’individu recouvre le vide insupportable qui se creuse devant lui. Mais le concevoir comme un sacrifice – comme y invite Allouch – consiste à considérer ce trou et à comprendre que c’est depuis sa profondeur incomblable que se lève la féerie d’une vision fidèle à la vérité.

Je traduis tout cela dans des termes qui m’appartiennent et qui sont peut-être erronés. Je les entends au sens que Bataille leur aura donné. Le « travail » du deuil réintègre la mort dans la sphère de l’utile en lui conférant une justification. A l’inverse, le « sacrifice » le conçoit comme une dépense irréductible à tout emploi, et par laquelle l’assentiment à la destruction pure et simple fait verser l’individu dans le revers archaïque d’un monde où il communique avec le fond de panique dont procède toute expérience. Si j’appréhende le deuil comme un « travail », je m’astreins à procéder à cette conversion rentable qui transforme l’objet aimé que j’ai perdu en ce nouvel objet d’amour qui viendra prendre sa place. Si je l’appréhende à la façon d’un « sacrifice », je me livre à cet holocauste affectif où, m’abîmant avec lui, je m’anéantis partiellement en lui et trouve dans la mutilation acceptée de moi-même le gage d’un accès symbolique à la vérité sans usage de la vie.

Mais tout cela peut sans doute se dire plus simplement. Puisque la conviction concernée touche à la fondamentale insubstituabilité des êtres aimés. Le « travail du deuil » dénie cette insubstituabilité en s’employant à leur remplacement sensé. Le « sacrifice » du deuil en prend acte et en fait le sujet même de ce spectacle incroyablement cruel où la perte s’accepte comme telle.

On doit pouvoir faire plus simple encore. J’aimerais pouvoir y parvenir. Rien ne remplacera celui que l’on a perdu. Et c’est seulement à la condition d’accepter cette évidence que, consentant au sacrifice partiel de soi-même, on conserve vive la vérité d’avoir aimé ».

Philippe Forest, Tous les enfants sauf un



La Drache

L’orage bouscule le tableau
Ouvre le dictionnaire
A la page vingt
A la page cent
Jusqu’au mot inconnu

Dans la cour de récréation
Parmi les flaques
On l’attrape on le pend
On lui fait la peau
On lui tire la langue française

Entre un chou de Bruxelles
Et une gaufre de Liège
Le mot « drache » se prend pour un caramel

Françoise Lison-Leroy, Le français est un poème qui voyage

« Erbarme dich, mein Gott »



J.-S. Bach, Matthaüs Passion
A. Scholl, Ph.Herreweghe, Collegium Vocale, Gent

« Können Tränen meiner Wangen Nichts erlangen »


J.-S. Bach, Matthaüs Passion
A. Scholl, Ph.Herreweghe, Collegium Vocale, Gent

Tryo "L'hymne de nos campagnes"


L'hymne de nos campagnes

Le chat



Dans ma cervelle se promène
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux !

II

De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tirés comme par un aimant
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.

Charles Baudelaire, Les fleurs du Mal

Orféo Monterverdi




J. Savall

Gracias a la vida

Pour Célia



Mercedes Sosa


Violetta Parra


http://fr.wikipedia.org/wiki/Violeta_Parra
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mercedes_Sosa

Frida Kahlo

http://fr.wikipedia.org/wiki/Frida_Kahlo

si tán solo




A. Ionatos

Swing Time


F. Astaire & G. Rogers

Fantasiant

15-Fantasiant - Arianna Savall & Jordi Savall

J. Savall, A.Savall

A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt

La nuit était fort noire et la forêt très-sombre.
Hermann à mes côtés me paraissait une ombre.
Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu !
Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres.
Les étoiles volaient dans les branches des arbres
Comme un essaim d'oiseaux de feu.

Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,
L'esprit profond d'Hermann est vide d'espérance.
Je suis plein de regrets. O mes amours, dormez !
Or, tout en traversant ces solitudes vertes,
Hermann me dit : «Je songe aux tombes entr'ouvertes ;»
Et je lui dis : «Je pense aux tombeaux refermés.»

Lui regarde en avant : je regarde en arrière,
Nos chevaux galopaient à travers la clairière ;
Le vent nous apportait de lointains angelus;
dit : «Je songe à ceux que l'existence afflige,
A ceux qui sont, à ceux qui vivent. -- Moi, lui dis-je,
Je pense à ceux qui ne sont plus !»

Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines ?
Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes ?
Les buissons chuchotaient comme d'anciens amis.
Hermann me dit : «Jamais les vivants ne sommeillent.
En ce moment, des yeux pleurent, d'autres yeux veillent.»
Et je lui dis : «Hélas! d'autres sont endormis !»

Hermann reprit alors : «Le malheur, c'est la vie.
Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux ! j'envie
Leur fosse où l'herbe pousse, où s'effeuillent les bois.
Car la nuit les caresse avec ses douces flammes ;
Car le ciel rayonnant calme toutes les âmes
Dans tous les tombeaux à la fois !»

Et je lui dis : «Tais-toi ! respect au noir mystère !
Les morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre.
Les morts, ce sont les coeurs qui t'aimaient autrefois
C'est ton ange expiré ! c'est ton père et ta mère !
Ne les attristons point par l'ironie amère.
Comme à travers un rêve ils entendent nos voix.»

Victor Hugo, Les Contemplations

Veiller Tard





J.J Goldman


La Malibran, Bartoli





Blueberry Hill

Lamentations d’Eurydice Luigi Rossi



V. Gens & l’Arpeggiata

Donner des claques

La chasse à l’enfant

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit j'en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis
Qu'est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent !
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau.

Jacques Prévert, Paroles

Poème de Jacques Prévert qui évoque la mutinerie d'août 1934 de Belle-Île-en-Mer qui eut lieu dans la colonie pénitentiaire pour mineurs «délinquants», installée en 1902 par le Ministère de la Justice. A la suite des maltraitances qu’ ils y subissaient, un tabassage ayant particulièrement mal tourné, les enfants se soulevèrent et s’enfuirent. Une prime de 20 francs fut offerte à quiconque capturerait un fugitif. Cet événement déclencha une campagne de presse faisant connaître au monde entier les conditions de détention de Belle-Île-en-Mer et demandant la fermeture des bagnes d'enfants. Ce bagne d’enfants ne fut définitivement fermé qu'en 1977.


Lily


P. Perret & Les Ogres de Barback

Droits de l’homme

http://www.liberation.fr/actualite/societe/324821.FR.php

http://www.ldh-france.org/actu_derniereheure.cfm?idactu=1678


Duos Arcadiens Haendel

N. Dessay, V. Gens, E. Haïm, P. Agnew, P. Petibon

dimanche 29 juin 2008

Somewhere over the rainbow

Dessin de Claire Gravelines






Eva Cassidy



Israel Kamakawiwo

Lorsque l'enfant a peur...


Lorsque l'enfant a peur de perdre son enfance,
il consulte parfois son amie la girafe,
qui soudain le soulève et l'assoit sur son cou
pour faire dans le parc un rapide galop
ressemblant au tangage; et l'enfant se promène
à bord de ce navire où l'étoile est si proche,
l'étang si renversé, la montagne si basse...

Alors, les lois du temps par miracle s'annulent
dans une grande fête, et les vieilles personnes,
perdues par la raison, n'osent plus s'immiscer
dans le bonheur qui d'arbre en arbre s'improvise
comme un bal costumé parmi les ballons rouges.

La girafe est légère en sa longue tendresse,
et l'enfant rassuré peut devenir adulte.

Alain Bosquet



Girafe

Quand je serai grand, je serai girafe
Pour être bien vu par les géographes.
Pas éléphant blanc, c'est trop salissant,
Ni serpent python, ni caméléon.
La girafe est belle, elle est une échelle
Entre sol et ciel, l'herbe et le soleil !

Mammouth, c'est trop tard, et marsouin trop loin,
Le chameau a soif, le saurien a faim.
Tandis que girafe, on a de ces pattes !
Un cou bien plus haut que le télégraphe !
Le kangourou boxe, il reçoit des coups,
Il a une poche, mais jamais de sous.

Non , décidément, quand je serai grand,
Je serai girafe et vivrai cent ans.
Alors sa maman lui dit tendrement :
C'est trop d'ambition, mon petit gardon !

Marc Alyn

Le Guépard

Le guépard est une magnifique bête de l'espèce des félidés.

Mais à l'encontre des animaux de cette famille, il ne possède pas des griffes mais des ongles, comme le chien.

Sa course est superbe ; c'est un spectacle inoubliable mais fort rare car généralement on court devant.

Jean L'Anselme



Impression de printemps

Il est des jours - avez-vous remarqué ? -

Où l'on se sent plus léger qu'un oiseau,

Plus jeune qu'un enfant, et, vrai ! plus gai

Que la même gaieté d'un damoiseau.

L'on se souvient sans bien se rappeler...

Évidemment l'on rêve, et non, pourtant.

L'on semble nager et l'on croirait voler.

L'on aime ardemment sans amour cependant

Tant est léger le coeur sous le ciel clair

Et tant l'on va, sûr de soi, plein de foi

Dans les autres, que l'on trompe avec l'air

D'être plutôt trompé gentiment, soi.

La vie est bonne et l'on voudrait mourir,

Bien que n'ayant pas peur du lendemain,

Un désir indécis s'en vient fleurir,

Dirait-on, au coeur plus et moins qu'humain.

Hélas ! faut-il que meure ce bonheur ?

Meurent plutôt la vie et son tourment !

Ô dieux cléments, gardez-moi du malheur

D'à jamais perdre un moment si charmant.

Paul Verlaine, Poèmes divers



Mai






Mai

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment

Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes.

Guillaume Apollinaire, Alcools



Les différences entre les deux systèmes linguistiques sont telles qu'elles défient presque toute traduction



«dans une langue sémitique, le sens jaillit de l'intérieur des mots, de leurs assonances et de leurs résonances, alors que dans une langue indo-européenne, il viendra d'abord de l'agencement de la phrase, de sa structure grammaticale. [...] Par sa structure, la langue arabe se prête en effet magnifiquement à la poésie [...] Les différences entre les deux systèmes linguistiques sont telles qu'elles défient presque toute traduction»

http://www.liberation.fr/rebonds/323893.FR.php

Vladimir Jankélévitch, L'ironie

[...] L'ironie, semblable à l'esprit de finesse, représenterait plutôt ce qui freine notre logique affective ; multiple et déliée, l'ironie ne pèse presque plus sur les sentiments ; et comme l'esprit de finesse s'abstient de tout définir et de tout prouver, ainsi l'ironie apprend à ne pas trop raisonner sur son propre raisonnement, à fuir les démonstrations linéaires ou trop appuyées ; contre les lourdes spécialisations du cœur, l'ironie affirme les droits d'un « amateurisme » raffiné et presque impondérable qui effleure successivement tous les claviers. Son régime naturel est donc le pizzicato ou mieux le staccato. Le pointillisme du staccato, effleurant les touches, ne dissipe-t-il pas le nuage de pédale qui, laissant vibrer le son, pérenniserait dans une sorte d'apothéose l'ébranlement pathétique de l'âme ? Ce n'est pas un hasard si les théoriciens de l'honnêteté, au XVIIème siècle ont beaucoup raillé les exclusivismes professionnels : mais n'y a-t-il pas aussi un exclusivisme passionnel qui enfonce au lieu de glisser, et qui ignore l'esprit d'ironie, l'esprit de légèreté et de souplesse, l'esprit de scherzo ?

Car l'ironie est la souplesse, c'est-à-dire l'extrême conscience. Elle nous rend, comme on dit, « attentifs au réel » et nous immunise contre les étroitesses et les défigurations d'un pathos intransigeant, contre l'intolérance d'un fanatisme exclusiviste. Car il y a une culture de l'universalité intérieure qui nous maintient alertes et détachés ... A cet esprit de pizzicato on reprochera son dilettantisme ; sa sécheresse abstraite. Mais au contraire, l'ironie ne mesure-t-elle pas tout le chemin parcouru de l'instinct gourmé à la subtile intelligence ? Le propre de l'instinct est de ne vouloir qu'une chose, mais de la vouloir à fond, et de rabâcher, et de souligner lourdement ; jamais il ne s'arrête à mi-chemin sur la route du plaisir. L'intelligence, elle, est la pensée des rapports ; elle peut, si elle veut, se rendre indifférente à sa matière, s'abstenir « d'effectuer » ; aptitude infinie à poser des problèmes, elle peut faire comme si rien n'existait, et c'est pourquoi Bergson la dit formelle ou hypothétique. Elle triomphe de nos dernières adhérences et nous conduit jusqu'au bord de l'abstraction la plus aiguë. Nous voilà immatériels, blasés, disponibles et supérieurement incrédules, à la fois maîtres des choses et de nous-mêmes. L'ironie n'est-elle pas la liberté, c'est-à-dire le mouvement qui nous porte au-delà ? [...]