samedi 30 mai 2009

vendredi 8 mai 2009

Hitler est mort / Klaus Mann

HITLER EST MORT
Klaus Mann, The Stars and Stripes, Rome 6 mai 1945
(in Klaus Mann, Contre la barbarie, 1925-1948, Paris Phebus, 2009,
traduit en français par Dominique-Laure Miermont et Corinna Gepner).

« Ce n’était pas un grand homme. En aucune façon. Et pourtant il a eu un grand pouvoir. Bien qu’il manquât de carrure et de génie, il a réussi à terroriser tout un continent et à défier le monde civilisé.
Hitler se vantait volontiers que son Troisième Reich durerait éternellement – au moins mille ans. En réalité, il a gouverné l’Allemagne pendant douze ans et quatre-vingt-dix jours – du 30 janvier 1933, date de sa nomination au poste de chancelier du Reich, au 1er mai 1945, jour où la radio allemande annonça sa mort. Cela peut paraître court, mais c’est quand même une durée incroyablement longue quand on prend en considération le caractère particulier de ce régime et de ce chef.
Incroyable est le mot ; le cas Hitler a vraiment quelque chose d’incroyable en soi. Mais l’histoire du chef nazi est également très instructive et donne à réfléchir. Les générations futures seront étonnées et choquées de cette saga du crime et de la folie. Il serait peut-être souhaitable qu’à titre de leçon et d’avertissement le Troisième Reich et ses dirigeants survivent aux mille années à venir.
Comment une chose pareille a-t-elle été possible ? Cette question, les générations futures ne vont pas manquer de se la poser. Qu’est-ce qui a permis à un clown névrotique d’avoir sous son contrôle la vie de millions de gens ? Quel a été le secret de cette fantastique et sinistre carrière?
Pour essayer de répondre à cette question, les futurs historiens feront sans doute appel à l’autobiographie et profession de foi de Hitler intitulée Mein Kampf. Mais ils seront déçus. Le long récit que Hitler a dicté à son ami Rudolf Hess en 1924 dans la forteresse bavaroise de Landsberg offre très peu d’informations pertinentes. Mis à part une accumulation de clichés nationalistes et d’invectives haineuses, elle ne contient guère d’idées originales. Et en ce qui concerne le style de Hitler, on peut constater qu’il maltraite la langue allemande autant que ses adversaires politiques. La seule chose que prouve Mein Kampf, c’est l’ignorance et l’outrecuidance de son auteur.
Qu’en est-il de son talent d’orateur dont on dit tant de bien ? Quand je l’ai entendu la première fois, dans les années vingt, son nom ne me disait pas grand-chose ; c’est par hasard et par pure curiosité que je me suis mis à observer, dans une taverne de Munich l’allure de cet obscur agitateur. Sa voix avait un son rauque désagréable ; il parlait allemand avec l’accent affecté du provincial autrichien qui se veut « cultivé » ; ce qu’il disait n’avait aucun sens. Hurlant et gesticulant comme s’il vivait dans un état de rage permanent, il n’arrêtait pas de proférer d’absurdes accusations, toujours les mêmes, contre certaines nations, contre des groupes religieux, des partis politiques et des gouvernements étrangers. Le noyau dur de cette pompeuse harangue consistait en une double affirmation, à savoir que L’Allemagne n’avait en réalité pas perdu la guerre mais avait été privée de sa victoire à cause de traîtres qui avaient intrigué contre elle, et que lui, l’orateur, avait été élu par la Providence pour rétablir la grandeur et la gloire de sa patrie. C’était un spectacle affligeant.
La seule chose remarquable dans tout cela était la réaction du public. On le prenait au sérieux. On applaudissait. Etaient-ils fous ou sous hypnose ? Une malédiction s’était-elle abattue sur eux pour les priver de leur sens critique et de leur raison au point de leur faire acclamer un magma aussi écoeurant de rodomontades et d’inepties. Etait-il possible qu’ils croient ses grotesques promesses et ses monstrueux mensonges ?
Incroyable ! C’est ce que je pensais en entendant l’une de ses explosions rhétoriques. Il était incompréhensible qu’un orateur public ayant un langage aussi primaire et maniant des procédés aussi éculés pût s’en sortir impunément. Mais c’est ce qui arriva. Le nombre de ses partisans ne cessa d’augmenter. Et quelques années s’écoulèrent avant qu’il ne devînt le chef du plus puissant et plus dynamique parti d’Allemagne. […]
Le dessinateur anglais David Low avait raison quand il dit quelques années plus tard : « on n’a pas besoin de faire sa caricature, il en est déjà une ». Comment un homme, qui était à lui seul une caricature, pouvait-il espérer un jour arriver au pouvoir dans un pays comme l’Allemagne ? Manifestement il n’avait rien à offrir – aucune vision d’avenir, aucune expérience, aucune intelligence. Il n’avait rien de spécial sauf peut-être ce brin de folie dans les yeux …
Effectivement ce qui attirait l’attention sur lui, c’était la dimension pathologique et presque démente de son égocentrisme et de sa haine. Cette double impulsion, haine et égocentrisme, était la source de toute son énergie. Ce pouvoir dont il désirait s’emparer, il avait seulement pour lui la valeur d’un instrument qui lui permettait de satisfaire sa passion destructrice, à savoir blesser et anéantir le plus grand nombre d’êtres humains. Et il arriva à ses fins. Grâce aux allemands.
Les junkers et industriels allemands virent en Hitler le chef de la « révolution conservatrice » - l’homme qui avait la capacité et la volonté de les aider à conserver ou à augmenter leurs privilèges et à empêcher le progrès social. Les jeunes allemands des deux sexes, dégoûtés de l’immobilisme et des tergiversations de la république de Weimar, acclamèrent le mouvement comme porteur de la « révolution de la jeunesse ». Les nationalistes allemands, qui souffraient d’un sentiment d’infériorité depuis la défaite de 1918, n’étaient que trop disposés à accepter Hitler, prophète et chef de la « révolution nationale » qu’ils appelaient de leurs vœux depuis si longtemps.
Pour Hitler et pour sa bande, toutefois, programmes et principes n’avaient pas plus d’importance que n’importe quel autre stratagème démagogique – c’étaient des armes faciles et efficaces dans leur lutte pour un pouvoir toujours plus grand. La nation ne signifiait absolument rien pour eux. Ils ne croyaient à rien ; rien n’avait d’importance hormis leur propre carrière. Leur mouvement était la révolution de l’inanité, la « révolution du nihilisme », comme l’a très bien dit Hermann Rauschning, un réfugié allemand, ancien confident du Führer.
Terreur et mensonges étaient les accessoires habituels de ce régime ; la guerre en était la conséquence inéluctable. Le Troisième Reich a évolué logiquement et continuellement dans le sens de sa propre loi interne et immanente – depuis la mobilisation totale jusqu’à la destruction totale. Même si Hitler avait réussi à conquérir l’Angleterre, la Russie, les Etats-Unis, le combat aurait continué. Il se serait trouvé un autre ennemi. Il était décidé à continuer de se battre tant qu’il y avait quelque chose à détruire.
Il aurait été facile de déjouer la farce tragique de l’aventure hitlérienne – aventure dévastatrice et dépourvue d’objectifs. Les Allemands auraient pu le mettre à la porte quand ils le voulaient, même après avoir commis l’énorme erreur de l’avoir choisi comme chef. Et jusque en 1938, les démocraties auraient pu l’empêcher d’agir sans risquer un conflit armé. Mais de manière incompréhensible, elles le laissèrent faire. Pendant qu’il mobilisait toutes les forces de l’Allemagne pour lancer son attaque massive sur le monde civilisé, le monde ne bougea pas – paralysé par l’autosatisfaction et l’inertie.
La crise provoquée par Hitler était donc peut-être une leçon nécessaire, même si elle fut cruelle et dispendieuse. Il n’y a qu’un moyen d’empêcher que ne se reproduise une telle catastrophe : une solidarité parfaite, et l’organisation soigneusement planifiée de la paix à l’échelle mondiale.
Dans un monde sans unité et sans détermination morale, chaque aventurier dépourvu de scrupules peut détourner à des fins destructrices les moyens mis à sa disposition par la technique moderne et la propagande. Pour cela nul besoin qu’il soit un grand homme ou un génie du Mal. Hitler n’était ni l’un ni l’autre. Il était simplement d’une méchanceté peu commune et un peu cinglé
Ce n’était pas un grand homme. »




Giroflé-Girofla (Rosa Holt, Yves Montand)



Giroflé-Girofla est un texte de Rosa Holt(1935), poète anti-nazie réfugiée en France après l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933. Ce texte fut mis en musique par Henri Goublier en 1937 sur une ronde populaire enfantine. Elle fut chantée avant la guerre au caveau de la République et l'interprétation qu'en fit Y. Montand sur le disque "Chansons populaires de France" contribua grandement à la faire connaître dans les anneés 50.