mardi 30 décembre 2008

F.Schubert / B. Fink














J'ai enfin pris le temps d'écouter ce disque sorti cet automne. Pas d'extrait disponible encore sur la toile, malheureusement. C'est une pure merveille. Il est difficile d'en parler tellement c'est beau. Le travail de Bernarda Fink et Gerold Huber, tout en émotion retenue, réalise magnifiquement ce tressage subtil, et propre à Schubert, de la narration portée par le texte et du phrasé musical qui, en parallèle, raconte aussi. Ils invitent pour chaque pièce au "voyage vers l'intérieur" de Novalis, à un nécessaire abandon poétique sans concession.

Commentaires
http://www.arte.tv/fr/Tous-les-CD/2251680.html

Et tout petit extrait
http://www.harmoniamundi.com/france/news_fiche.php?news_id=825

samedi 20 décembre 2008

For My Lovely Dancing Queen
















Today is YOUR day,
You are the Dancing Queen, young and sweet, only seventeen
Dancing Queen, feel the beat from the tambourine, oh yeah
Bon anniversaire Ma Douce ...


Abba, Dancing Queen
En robes crinolines, avec le tricorne à plume, et micros framboise et myrtille, c'est overkitsch (mais tu remarqueras que les mecs en faux soldats de Bernadotte avec le noeu-noeud dans le brushing ne sont pas mal non plus)

mercredi 17 décembre 2008

Entrave à la liberté de la presse

Libération, 17 décembre 2008

PRESSE - L'intersyndicale et la société des journalistes (SDJ) de l'Agence France presse ont publié mercredi des communiqués pour protester après que deux de ses journalistes ont été empêchés de travailler, mardi, par des CRS et des policiers. Les deux photographes suivaient une manifestation lycéenne de faible ampleur dans le centre de Lyon. "Dès le début, raconte Jean-Philippe Ksiazek, des gradés nous ont dit qu'on ne pouvait pas faire de photos cette fois, que c'était interdit. J'ai montré une carte de presse et une policière a pris toute mon identité, très longuement, puis elle m'a dit de me tenir à l'écart car c'était interdit de photographier, pour des questions de droit à l'image des policiers"...

La cinquantaine de lycéens se trouvant place Bellecour a ensuite été chargée par les CRS. "J'ai alors fait mon métier", poursuit le photographe. Mais un policier lui aurait fait une clef de bras pour le conduire à une voiture. Le deuxième photographe, Frédéric Dufour, également salarié de l'AFP, s'est retrouvé dans le même temps bloqué contre un mur, une matraque sous le cou. "Ils m'ont demandé mon appareil, continue Jean-Philippe Ksiazek. J'ai bien sûr refusé. Ils me l'ont arraché et ont effacé les photos et la disquette".

Pour l'intersyndicale (CFDT, CGC, FO, SAJ-Unsa, SNJ, CGT et Sud) de l'AFP, il s'agit d'un "acte de censure intolérable dans une démocratie" et d'une "atteinte grave à notre mission et au droit à l'information pour tous les citoyens". (...) Le comportement des policiers, juge-t-elle, "n'est que le reflet d'une volonté, au plus haut niveau, d'étouffer les mouvements sociaux et leur retransmission dans les médias". L'intersyndicale appelle la direction de l'AFP à "déposer une plainte contre ces agissements qui portent atteinte à la liberté de travailler".

Dans un communiqué séparé, la SDJ "s'inquiète de ces énièmes entraves à la liberté de la presse, à un moment où s'accumulent les pressions de responsables politiques de tous bords envers les journalistes".

Olivier BERTRAND

Rue 89
http://www.rue89.com/2008/12/19/censure-de-lafp-a-lyon-ligpn-va-ouvrir-une-enquete
http://www.rue89.com/2008/12/19/reportage-bidon-le-csa-ne-sanctionnera-pas-tf1

mercredi 10 décembre 2008

Ma télé, c'était vraiment quelqu'un de bien

Ma télé a rendu l'âme, il y a cinq jours. Discrètement, sans esbrouffe, elle nous a fait un petit floupf au milieu d'un film, une petite implosion pépère, un petit infarctus du tube cathodique et a tranquillement déposé les armes. Quelques jours après le début de la discussion de la loi sur l'audiovisuel à l'Assemblée. Je pense qu'elle a compris bien avant nous, que la parole libre, c'était plus vraiment cela, qu'elle allait devoir véhiculer le mensonge d'Etat permanent, en plus de toutes les inepties de toutes natures -qu'on essaie de ne pas lui infliger-, mais dont elle est constamment menacée au détour d'un zapping. Ma télé avait du style, c'était trop pour elle, elle avait des valeurs : elle a dit "rideau". Je vais avoir du mal à la remplacer.


Chenille cratylienne



Alice au Pays des Merveilles, Walt Disney

lundi 8 décembre 2008

Les pleureurs du métro

J'aime le métro la nuit. Mardi 2 décembre, Oh50 au métro Hôtel de Ville. Les couloirs sont vides et interminables. Je n'entends que le ronronnement des rames, comme un bruit de fond, sur des lignes que je devine sous mes pieds ou au-dessus de ma tête et puis, le bruit rythmé de mes talons. Au moment où je débouche sur le quai, un bruit étrange comme une plainte brève, un sanglot étouffé. Je pense au geignement d'un phoque ou à un chien qui tousserait en gémissant. Je pense aussitôt au grand black pas dangereux mais inquiétant, pauvre fou qui hante parfois cette ligne et poursuit les passagers de borborygmes divers, insultes et grognements. Il n'est pas sur le quai. Mais en face, un homme assis plutôt jeune absorbé dans un livre, que je vois d'abord comme un étudiant un peu négligé avec un sac à dos, un bonnet, des mèches en broussaille qui dépassent. Je m'assieds distraitement. L'étudiant se met à geindre par jappements brefs. C'est lui qui pousse de drôles de sanglots, comme des plaintes douloureuses, il pleure en lisant, apparemment bouleversé. Je le regarde vraiment, je le vois maintenant comme il est. Sale, un peu hagard, il n'est pas étudiant. Sdf du métro la nuit, qui sanglote et geint dans un livre.
Plus tard, je m'assieds dans la rame et tout de suite je la vois dans le carré d'en face. Ses longs cheveux blonds mal décolorés, cachent son visage. Elle téléphone sur son portable, elle est agitée, et elle fait des petits bruits de souris, des petits sanglots aigus et brefs, comme si elle criait tout bas. En face de moi, une dame sévère qui serre son sac sur ses genoux, un regard brun. Elle, elle continue à s'agiter. Elle referme son portable. Elle relève un peu la tête, je vois une larme couler le long de son nez. Elle s'essuie avec sa manche. Elle renifle. Elle y retourne pourtant, hésite, rappelle, se remet à ses petits cris de souris qui ne veut pas, qui reproche et qui dit non, avec les larmes qui coulent le long du nez. Je pose ma main sur son genou et lui tend un kleenex. Son regard, noyé, chaviré, ailleurs. Elle me remercie, me dit "j'ai tellement mal, j'ai tellement mal", je dis "oui, je vois". Elle se mouche, me remercie encore. Je crois que le regard brun n'aime pas ce qui se passe, trouve la scène inconvenante, le mouchoir et la compasssion inutiles et déplacés, ou craint pour son sac. Trois stations plus loin elle sort en titubant, flageole comme une petite fille sur ses (trop) haut-talons bon marché, peut-être un peu ivre.

Je pense à la chanson de Brel, au regard brun.

"Mais ces deux déchirés,
superbes de chagrin
abandonnent aux chiens
l'exploit de les juger"



H. Purcell, "Let me weep", The Fairy Queen

dimanche 7 décembre 2008

S. Rachmaninov / H. Grimaud


Rachmaninov, Etudes Tableaux, op.33-1 & 2

mercredi 3 décembre 2008

The bonny Swans, Loreena Mc Kennitt


The bonny swans

Dans la mythologie celtique irlandaise, le cygne est à la fois un symbole royal et un symbole de pureté et de féminité. On trouve plusieurs légendes irlandaises celtiques où des jeunes filles se métamorphosent en cygnes et deviennent animal sacré (parfois doué de la parole et chantant leur tristesse). Cette métamorphose les rend intouchables et les protège.
Cette chanson, tirée de l'album The Mask and the Mirror (1994) est inspirée d'un motif qu'on retrouve dans certaines fables et chansons populaires irlandaises. Une jeune femme (ici la plus jeune soeur) est noyée par son aînée (ou une rivale jalouse) et se métamophose en cygne. Le cygne dérivant au fil de l'eau est ramassé par la fille du meunier. Un harpiste fait du corps du cygne / jeune fille une harpe sacrée qu'il ramène à la cour du roi où l'instrument se met à chanter seul pour raconter le meurtre de la jeune fille.
Ce motif est également partiellement présent dans la légende construite autour d'un roi irlandais nommé Ler, qui inspira la pièce de Shakespeare, Le Roi Lear.

A farmer there lived in the north country
a hey ho bonny o
And he had daughters one, two, three
The swans swim so bonny o
These daughters they walked by the river's brim
a hey ho bonny o
The eldest pushed the youngest in
The swans swim so bonny o

Oh sister, oh sister, pray lend me your hand
with a hey ho a bonny o
And I will give you house and land
the swans swim so bonny o
I'll give you neither hand nor glove
with a hey ho a bonny o
Unless you give me your own true love
the swans swim so bonny o

Sometimes she sank, sometimes she swam
with a hey ho and a bonny o
Until she came to a miller's dam
the swans swim so bonny o

The miller's daughter, dressed in red
with a hey ho and a bonny o
She went for some water to make some bread
the swans swim so bonny o

Oh father, oh daddy, here swims a swan
with a hey ho and a bonny o
It's very like a gentle woman
the swans swim so bonny o
They placed her on the bank to dry
with a hey ho and a bonny o
There came a harper passing by
the swans swim so bonny o

He made harp pins of her fingers fair
with a hey ho and a bonny o
He made harp strings of her golden hair
the swans swim so bonny o
He made a harp of her breast bone
with a hey ho and a bonny o
And straight it began to play alone
the swans swim so bonny o

He brought it to her father's hall
with a hey ho and a bonny o
And there was the court, assembled all
the swans swim so bonny o
He laid the harp upon a stone
with a hey ho and a bonny o
And straight it began to play lone
the swans swim so bonny o

And there does sit my father the King
with a hey ho and a bonny o
And yonder sits my mother the Queen
the swans swim so bonny o
And there does sit my brother Hugh
with a hey ho and a bonny o
And by him William, sweet and true
the swans swim so bonny o
And there does sit my false sister, Anne
with a hey ho and a bonny o
Who drowned me for the sake of a man
the swans swim so bonny o

vendredi 28 novembre 2008

Le pauvre se mange froid



Le pauvre, comme les asperges et la dinde aux marrons est un produit saisonnier. Comme tous les grands sujets qui agitent notre époque ("Comment perdre 3kg sans se priver avant le maillot de bains", "Amours de vacances et nouvelles sexualités estivales, faut-il inviter les poissons ?", "Sapin vivant ou sapin synthétique ? ", "Après les fêtes, détoxifiez votre organisme en jetant les restes"), il réapparaît dans les médias, tous les ans vers mi-novembre. Toujours entre les chrysanthèmes et les premières courses de Noël.
Jeudi 27 novembre, Libération affiche un titre hallucinant "Vincennes, le monde caché des SDF" ("20 000 lieues sous la civilisation, nous avons un scoop, nous les avons trouvés pour vous". Mais qu'ont-ils attendu pour aller leur parler, faire des reportages ? Le bois de Vincennes n'est pas le kamchatka), je lis à la deuxième page "Le contexte : Quatre sans-abri sont morts en un mois en région parisienne dont trois au bois de Vincennes". J'en déduis, puisque Libération n'écrit jamais des choses de ce genre, ni en page 2, ni nulle part d'ailleurs, le 15 mars, le 12 mai, le 24 juillet ou le 18 septembre, que la saison du "sans-abri", c'est quand il est mûr et à point pour mourir : c'est maintenant, en automne-hiver, et seulement quand il fait froid. Ou alors que le reste du temps, il peut mourir hors saison, supporter la pluie, la chaleur, la saleté, la faim, la soif, la solitude, les agressions sans faire frémir personne, et qu'il ne devient intéressant QUE si il meurt en automne, les jours où il fait froid. L'intérêt que comporte le pauvre serait donc indexé sur la valeur du thermomètre et l'apitoiement prénatal et culpabilisé qui nous saisit au moment de l'Avent.
Et voici que surgit, dans ce tableau déjà bien édifiant, toute chargée de chrétienne charité, la dame patronesse du gouvernement, en charge de ces questions, la copine des commandos pro-life, la même qui n'aimait pas l'idée que les homosexuels se réchauffent en paxant et encore moins en faisant l'amour. C.B. nous amène sur un plateau sa petite idée bien pensante : pour les protéger du froid et d'eux-mêmes, enfermons les pauvres. Voilà LE mot est lâché puisque le contexte, tout dégoulinant de pitié et de démagogique assistance à personne en danger, autorise enfin à lever le tabou : "Enfermons les pauvres". Rentrons nos pauvres, qui ont le mauvais goût de se laisser refroidir dans nos guirlandes, quand les grilles de métro et les plaques d'égouts ne réchauffent plus assez. Encageons-les pour leur bien, puisqu'ils viennent troubler l'ordre public en plantant leur tentes à deux pas de la Bourse.

Michel Foucault dans Surveiller et punir et L'histoire de la folie à l'âge classique a magistralement montré le lien entre la prise en charge étatique progressive de la misère et des marginaux à partir du XVIIIème siècle et la genèse de la conception moderne de l'enfermement, où le miséreux, celui qui pour diverses raisons ne subvient plus ou subvient mal à ses besoins vitaux et se désocialise, est considéré soit comme un délinquant, soit comme un malade ou un fou.
Loïc Wacquant, qui fut l'un des élèves de Bourdieu, avec qui il travailla pour La misère du monde, a analysé également de manière détaillée dans ses nombreux travaux, la question de la criminalisation de la misère dans les sociétés démocratiques, et spécialement aux Etats-Unis, ainsi que les liens complexes entre désocialisation, misère et enfermement.
Enfin, Patrick Declerck ethnologue et psychanalyste a écouté et soigné pendant plus de quinze ans les clochards parisiens et partagé étroitement leur vie. Il avait en charge une consultation psychiâtrique au centre de soins et d'accueil de Nanterre et a contribué avec Xavier Emmanuelli à la mise en place du Samu social. Il a fait de cette expérience un livre bouleversant et très dérangeant, profondément humain Les Naufragés, avec les clochards de Paris, où il traite très longuement de la complexité et du paradoxe que représente la prise en charge des grands exclus. Il plaide sans ambiguité pour une "banalisation " de la prise en charge des SDF.
De ces textes et de ces réflexions, il ressort que l'enfermement forcé et "pour leur bien" - fût-il saisonnier et exceptionnel- des hommes et des femmes qui vivent dans la rue, ne constitue manifestement pas une réponse appropriée à leur désocialisation. Encore moins une grande avancée démocratique, surtout s'il se fait sans moyens réels de les accueillir comme des hommes, et comme des hommes libres. Il faut lire sans frémir la description que Patrick Declerck donne des nuits au centre d'accueil de Nanterre, dont on comprend ensuite pourquoi il était tant redouté par les clochards [p. 44 et sq]

"le discours hypertrophié du don de soi et de la charité glorieuse est trop souvent le masque de l'incompétence et du bricolage, quand il n'est pas celui de la perversion. L'encadrement médico-social de la grande désocialisation a tout intérêt à se banaliser et à se penser comme n'importe quelle autre question de santé publique. [...]
Vous faites aussi allusion à une position d'extrême-gauche : "la charité corrompt les pauvres en achetant leur éventuelle révolte, pratiquons donc la politique du pire". L'argument, à l'instar de toute paranoïa est logiquement imparable. Mais comme toute logique poussée jusqu'à ses conséquences extrêmes, c'est une logique folle parce que inhumaine et contraire à la vie. Ce sont les contradictions, les à-peu-près, les malgré-tout, les néanmoins, les je-sais-que-je-ne-devrais-pas-mais, qui font toute l'humanité de la vie, sa médiocrité et sa grandeur. Le philosophe-roi est toujours un homme dangereux.
Encore faut-il distinguer entre charité comme système et stratégie, et charité comme acte, dans une solidarité ponctuelle entre vivants. Quoi qu'il en soit, ma position n'est pas de me faire pour les clochards le chantre de la charité. Bien au contraire, je plaide, comme je l'ai écrit plus haut pour une professionnalisation de l'aide apportée"
Les naufragés, p. 427 et sq.

" Ainsi, si le caractère saisonnier de l'hébergement d'urgence se comprend, comment justifier l'arrêt de trop nombreux dispositifs de distribution de nourriture hors période hivernale ? Sous prétexte de température clémente, ne pouvons nous pas comprendre que des populations démunies continuent à avoir faim ? Ou plutôt la faim et le froid des autres ne nous sont-ils représentables que lorsque nous subissons, nous aussi, ô combien atténuées les rigueurs de l'hiver ?
Cette dernière hypothèse, loin d'être une boutade, touche à un point majeur de la prise en charge de la grande désocialisation : c'est celui de l'identification du soignant au soigné. Il semble, ici aussi, que cette identification -possible ou impossible- régisse, pour une grande part les logiques de l'aide sociale. Le malheur est que cette identification transféro / contre transférentielle, est par nature projective c'est-à-dire basée sur un malentendu structurel, et donc intrinséquement fragile. Elle induit ici deux conséquences regrettables : la pratique d'une charité hystérique et l'inéluctabilité cyclique de ruptures du lien entre soignants et soignés.
La charité hystérique caractérise le style de l'aide apportée. C'est dire que, pour une grande part, cette dernière est inadaptée aux besoins réels de la population. Ceux-ci apparaissent comme presque toujours impossibles à penser concrètement. Et c'est cette espèce de désinvolture de l'esprit qui, toujours, se satisfait de l'affect lié à la représentation, plutôt que de son contenu, qui est hystérique. La pensée, ici trop souvent s'épuise dans l'émotion, par nature fugace, de l'identification douloureuse. Je donne à l'autre pour moi, pas pour lui. [...]
Il est un parallèle subtil entre les gestes du passant, pour un instant ému, qui décharge son malaise par une aumône ponctuelle et qui, par là même, retrouve le chemin de la liberté psychique de poursuivre, apaisé son chemin, et des pratiques d'aide qui ne s'attachent qu'à remédier au visible de la souffrance [...]
Ainsi, les éternelles interrogations des responsables, étatiques ou privés, concernant les résistances de la populaton à s'abriter, même pour une nuit dans les centres d'hébergement d'urgence. On glose, sans fin, sur la nécessité d'instiller davantage de chaleur humaine dans l'accueil. Certes ... ce que l'on fait moins, en revanche, est par exemple de se poser concrètement la question de ce que supportent les hébergés" Les naufragés, p. 331

You must take the A train

Pour le Niglu et Juju
Les images ne sont pas excitantes mais vous pouvez fermer les yeux pour écouter cette version d'Ella et du Duke avec au moins 5 minutes de scat improvisé. Du grand grand Ella Fitzgerald.




Duke Ellington et Ella Fitzgerald

samedi 22 novembre 2008

Parfois, la femme est un homme comme les autres

Aujourd'hui l'incarnation féminine du pouvoir dans la vie politique française me navre comme femme et comme citoyenne, et interroge ce discours (d'ailleurs masculin) pseudo pro-féministe qui (entre autres) de Ferrat à Renaud consacre une supposée exception féminine presque sacrée dans l'exercice des responsabilités politiques, en bêlant la magnifique spécificité des combats féminins contre la loi des hommes ou la fragilité des femmes, leur douceur, leur altruisme et une supériorité morale et quasiment ovarienne qui consacrerait leur désintérêt génétique du pouvoir (et par conséquent, on le suppose, leur inaptitude "naturelle" à l'exercer, mais là on est un peu de mauvaise foi).
D'un côté, une Vierge-Mère surmédiatisée exhibe jusqu'à l'obscénité un ventre plein et hypnotique comme paravent sacré de son incompétence et de ses manquements répétés à l'exercice de la charge publique dont elle a la responsabilité, livrant par avance cet enfant qui n'a rien demandé et ne lui appartient d'ailleurs pas, à la rumeur et aux ragots des tabloids, sans que le père, définitivement évacué de cette affaire, n'ait apparemment rien à en dire ; de l'autre deux éléphantes portant en écharpe, respectivement et plus ou moins élégamment, leur logique d'appareil monnayent leur voix sur la place publique comme des poissonnières.
Or, ces êtres sont bien des femmes, tout en témoigne parfois jusqu'à la nausée, mais si elles sont les soeurs de Miss Maggie, elles sont aussi comme tous les hommes de leur genre, serviles aux appareils ou servant des trajectoires individuelles et ne sont l'avenir de rien du tout dès lors qu'elles abdiquent dans l'exercice de leur fonction leur liberté morale, leur dignité et qu'elles endossent non pas les habits de la domination masculine, mais les habits de la domination tout court et des manières dont la bassesse et la vulgarité n'ont rien à envier à aucun homme.
Dans l'exercice de la responsablité qui l'engage socialement, quel que soit son métier, un individu ne se définit ni par son sexe, ni par son ventre et sa capacité à donner la vie, mais par son travail, son sens du bien commun, ses idées, sa volonté, son engagement, son courage et sa raison. Le reste est une affaire privée. Or aujourd'hui, ces trois femmes nous montrent que parfois et pour le pire, la femme est un homme comme les autres. La femme que je suis ne leur dit pas merci.
Quant à Renaud et Ferrat, on leur pardonne ... ils ont, ailleurs, plus heureusement parlé des femmes et de ce que la féminité (et la maternité) ont de vraiment spécifique et doux.





vendredi 21 novembre 2008

Voyelles, Rimbaud

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges ;
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Arthur Rimbaud, Poésies

samedi 15 novembre 2008

Locataires du monde : Michel Serres

"Le Mal propre : polluer pour s'approprier ?"

"Le tigre pisse aux limites de sa niche. Le lion et le chien aussi bien. Comme ces mammifères carnassiers, beaucoup d'animaux, nos cousins, marquent leur territoire de leur urine, dure, puante ; et de leurs abois ou de leurs chansons douces, comme pinsons et rossignols.
Marquer : ce verbe a pour origine la marque du pas, laissée sur la terre par le pied. Les putains d'Alexandrie, jadis avaient coutume, dit-on, de ciseler, en négatif, leurs intiales, sous la semelle de leurs sandales, pour que les lisant, imprimées sur le sable de la plage le client éventuel reconnaisse la personne désirée en même temps que la direction de sa couche. Les présidents des grandes marques reproduites par les publicitaires sur les affiches des villes jouiront dans doute, ensemble, d'apprendre qu'ils descendent en droite ligne, comme de bons fils, de ces putains-là.
[...]
Nécessaire à la survie, l'acte de s'approprier me paraît donc issu d'une origine animale, éthologique, corporelle, physiologique, vitale ... et non d'une convention et de quelque droit positif. J'y sens un recouvrement d'urine, de déjections, de sang, de cadavres poussrissants ... Son fondement vient du fondement ... son fondement vient du corps, vivant ou mort. Je vois là une action, une conduite, une posture ... assez générales chez le vivant, assez indispensables aussi pour que je puisse les dire naturelles. Ici un droit naturel précède le droit positif ou conventionnel.
Rousseau se trompe. Il écrit " le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire "ceci est à moi", et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile". Décrivant un acte imaginaire, il décide pour un fondement conventionnel du droit de propriété.
[...]
Dès lors, la pollution telle que nous en souffrons depuis le XIXème siècle, et telle que, se mondialisant aujourd'hui nous la dénonçons et nous en inquiétons, bouleverse les données primaires, vitales, "naturelles"... de cette salissure et ses vieux résultats ; elle nous oblige à changer nos usages d'appropriation.
[...]
Certes, je ne pensais pas, jusqu'à ce travail que ladite pollution résultât de la volonté humaine de s'approprier le monde, que nous le salissions surtout pour le posséder. Eppure ! comme Galilée s'exclama, les chiffres le vérifient : les puissants polluent plus que les misérables, je l'ai dit. Avions, trains, voitures émettent du CO2, mais aussi du bruit pour annoncer au loin l'importance des voyageurs et l'emprise sur l'espace des compagnies de transport. On mesure fortune et pouvoir par le volume de leurs déchets. Ainsi par dur et doux, la pollution signe la volonté de puissance, le désir de l'expansion spatiale, oui, la guerre de tous contre tous."


mardi 11 novembre 2008

90ème anniversaire de l'armistice de 1918

Je suis née dans le Nord de la France en 1963, j'ai grandi sur, ou très près [de], les "théâtres d'opérations militaires" (comme disent les chefs d'état-major), où se jouèrent quelques scènes mémorables des deux affolantes et atroces tragédies que furent les deux guerres mondiales. On m'a raconté, comme à beaucoup d'autres des anecdotes pittoresques, cocasses et émouvantes de Louis d'Or-talisman cousu dans une capote dont mon arrière-grand-père ne se déshabillait jamais par peur de mourir ; d'asticots qui avaient sauvé une jambe ; les cauchemars d'un autre proche qui revécut Verdun toutes les nuits jusqu'à sa mort ; des histoires tristes et belles de mort des hommes et de longue et douloureuse patience des femmes ; des enfants envoyés à la campagne loin du front ou de l'occupant ; des peurs de petites filles, emportant à la cave leur petite valise toujours prête sous les bombardements de Lille ; la résistance rail en gare de Lille.
Tout cela fut aussi la vie de mes arrière-grands-parents, grands-parents et parents.
Ces récits appartiennent à la mémoire familiale. Ils constituaient, quand j'étais enfant, une sorte de mythologie romanesque qui dans mon imaginaire rapprochaient mes ancêtres des héros grecs dont je lisais les aventures avec passion.

Mais la guerre nous entourait insidieusement et refaisait surface parfois dramatiquement dans ma vraie vie d'enfant, dans un curieux mélange où les deux guerres se répondaient. Il y avait d'abord, plusieurs fois par an les cérémonies de commémoration, pour lesquelles ma mère, édile locale, "s'habillait" et défilait. Grandes et solennelles messes républicaines expiatoires, peut-être nécessaires mais à coup sûr dérisoires, où les enfants des écoles étaient spécialement destinés au dépôt de la gerbe. Dunkerque, dévastée et à peine reconstruite, ville pourtant attachante où je suis allée au lycée. Partout autour de nous les monuments, les maisons, les paysages gardaient les traces de ces dévastations. Les douilles parfois dans les dunes le dimanche, à Oye-Plage. Et dans le sable froid et blond, les petits morceaux de métal coupants ou rouillés auxquels nous n'avions pas le droit de toucher. Les munitions étaient encore facilement disponibles pour peu qu'on se donnât la peine de chercher un peu. Les garçons démontaient les obus pour en extraire la poudre et faire des pétards et des fusées. Hervé, un élève de mon père n'eut pas de chance, qui se mutila à mort, en manipulant des munitions de la première guerre mondiale, ramassées dans les champs, stockées et oubliées dans un garage. On me raconta aussi l'histoire d'un laboureur et de son cheval attelé à la charrue, pulvérisés après avoir heurté un obus remonté des profondeurs de la terre. Le récit de l'explosion avait quelque chose de fantastique et avait suscité en moi des interrogations métaphysiques et torturantes quant au devenir et à l'intégrité ontologique de ces deux êtres définitivement mêlés l'un à l'autre : on pouvait donc être retiré aussi violemment et brutalement du monde des vivants, se volatiliser et n'être plus rien ?

Et puis d'autres dimanches de temps en temps, les cimetières et mémoriaux, dans la Somme ou en Belgique, les petits musées locaux qui racontaient un peu les tranchées et la vie des poilus, les noms de tous ces jeunes hommes gravés dans la pierre en listes interminables qui finalement les rendaient à l'anonymat et à l'écoeurante banalité des massacres de masse, les croix blanches bien rangées, toutes incompréhensiblement identiques. Cette calme et insoutenable monotonie des cimetières militaires. Les guerres, la première guerre mondiale étaient comme un décor et un horizon irréels, un peu fascinants quoique flous, miroitant au loin de mes préoccupations d'enfant choyée et vivant dans la paix. De tout cela je n'avais qu'une conscience très confuse. A partir de l'adolescence, je me suis beaucoup intéressée volontairement à la première guerre mondiale, mais je crois que ce sont aussi les souvenirs flous et ces vagues -mais très justes- émotions de l'enfance qui font nos vies, nos choix et nos colères d'adultes.
De tout cela je veux garder la mémoire vive et je veux rendre aujourd'hui modestement hommage à tous ces êtres, proches aimés ou anonymes de tous les pays, dont les existences furent plongées dans l'atrocité et la mort, alors qu'ils n'avaient le plus souvent pour seule richesse que leur propre promesse et qu'ils n'attendaient sans doute pas grand chose d'autre de la vie que la possibilité de la vivre en paix.



La chanson de Craonne a accompagné les mutineries de 1917, consécutives à l'hécatombe désastreuse que fut l'offensive du Chemin des Dames et évoque une autre bataille qui eut lieu à Craonne entre avril et mai 1917. Elle est devenue, au-delà des événements qu'elle relate, une des chansons emblématique pacifiste et engagée que compte le répertoire français (avec "La butte rouge", Giroflé-Girofla", "Le déserteur", "A tous les enfants" de B. Vian ...). Elle est interprétée ici par Marc Ogeret.



A tous les enfants (Boris Vian, Joan Baez)



Giroflé-Girofla (Rosa Holt, Yves Montand)


Giroflé-Girofla est un texte de Rosa Holt(1935), poète anti-nazie réfugiée en France après l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933. Ce texte fut mis en musique par Henri Goublier en 1937 sur une ronde populaire enfantine. Elle fut chantée avant la guerre au caveau de la République et l'interprétation qu'en fit Y. Montand sur le disque "Chansons populaires de France" contribua grandement à la faire connaître dans les anneés 50.





CRID 14/18
Le Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914-1918 est une association de chercheurs qui vise au progrès et à la diffusion des connaissances sur la Première Guerre mondiale.Pour cela, il met à la disposition de tous des textes et des outils scientifiques et pédagogiques, et un dictionnaire des témoignages. Pour en savoir plus sur le Crid 14-18, on peut consulter sa Charte et la liste des ses membres.
Un Forum de discussion permet d'échanger idées et informations. L'Agenda indique les conférences, journées d'études, rencontres publiques qui sont organisées.

Association à but scientifique, il se veut le cadre d’échanges et de débats permettant l’enrichissement de la démarche de recherche de tous ses membres. Il se donne pour objectif l’organisation de colloques scientifiques, l’animation de groupes de travail thématiques, le lancement d’enquêtes collectives et de publications, initiatives au sein desquelles chaque membre peut participer selon ses compétences, sa disponibilité et l’intérêt qu’il y porte, sur un strict pied d’égalité. Les principes qu’il met en œuvre sont ceux de la recherche scientifique, l’utilisation et la critique de tous les documents disponibles sans aucun a priori, la confrontation rigoureuse des travaux déjà publiés, la construction des objets historiques en s’appuyant sur les acquis des sciences sociales.
Le CRID 14-18 a pour origine la rencontre d’universitaires, d’historiens non professionnels et de membres de sociétés savantes sur le terrain même des combats de 1914-1918. S’il manifeste son attachement durable à ce terrain par l’installation de son siège à Craonne (Aisne), le CRID 14-18 n’entend pratiquer aucune restriction de lieu et il se donne au contraire pour objet de contribuer aux études historiques sur la Guerre de 1914-1918 sur l’ensemble du territoire (sur les lieux de l’ancien front comme dans les autres départements, en métropole comme dans les DOM-TOM, et l’ensemble des anciennes colonies) et au-delà dans tous les pays avec lesquels il a l’occasion d’entretenir des liens.
Extrait de la charte du CRID
http://www.crid1418.org/



vendredi 7 novembre 2008

Quitter l'enfance

Concert acoustique, Plutôt guitare

Maxime Le Forestier, Jean-Félix Lalanne

jeudi 6 novembre 2008

Back to America

Joe Dassin, L'Amérique


lundi 3 novembre 2008

Yma Sumac

Yma Sumac, Le Rossignol des Andes, merveilleuse diva péruvienne vient de s'éteindre à Los Angeles

http://fr.wikipedia.org/wiki/Yma_Sumac






vendredi 31 octobre 2008

No Milk Today

Herman's Hermits, No Milk Today (1966)

mercredi 29 octobre 2008

Les rois sont nus

Les Habits neufs de l'Empereur
Il y a de longues années vivait un empereur qui aimait par-dessus tout les beaux habits neufs ; il dépensait tout son argent pour être bien habillé. Il ne s’intéressait nullement à ses soldats, ni à la comédie, ni à ses promenades en voiture dans les bois, si ce n’était pour faire parade de ses habits neufs. Il en avait un pour chaque heure du jour et, comme on dit d’un roi : « Il est au conseil », on disait de lui : « L’empereur est dans sa garde-robe. »

La vie s’écoulait joyeuse dans la grande ville où il habitait ; beaucoup d’étrangers la visitaient. Un jour arrivèrent deux escrocs, se faisant passer pour tisserands et se vantant de savoir tisser l’étoffe la plus splendide que l’on puisse imaginer.

Non seulement les couleurs et les dessins en étaient exceptionnellement beaux, mais encore, les vêtements cousus dans ces étoffes avaient l’étrange vertu d’être invisibles pour tous ceux qui étaient incapables dans leur emploi, ou plus simplement irrémédiablement des sots. « Ce seraient de précieux habits, pensa l’empereur, en les portant je connaîtrais aussitôt les hommes incapables de mon empire, et je distinguerais les intelligents des imbéciles. Cette étoffe, il faut au plus vite la faire tisser. »

Il donna d’avance une grosse somme d’argent aux deux escrocs pour qu’ils se mettent à l’ouvrage. Ils installèrent bien deux métiers à tisser et firent semblant de travailler, mais ils n’avaient absolument aucun fil sur le métier.

Ils s’empressèrent de réclamer les plus beaux fils de soie, les fils d’or les plus éclatants, ils les mettaient dans leur sac à eux et continuaient à travailler sur des métiers vides jusque dans la nuit. J’aimerais savoir où ils en sont de leur étoffe, se disait l’empereur, mais il se sentait très mal à l’aise à l’idée qu’elle était invisible aux sots et aux incapables.

Il pensait bien n’avoir rien à craindre pour lui-même, mais il décida d’envoyer d’abord quelqu’un pour voir ce qu’il en était. Tous les habitants de la ville étaient au courant de la vertu miraculeuse de l’étoffe et tous étaient impatients de voir combien leurs voisins étaient incapables ou sots.

Je vais envoyer mon vieux et honnête ministre, pensa l’empereur. C’est lui qui jugera de l’effet produit par l’étoffe, il est d’une grande intelligence et personne ne remplit mieux sa fonction que lui. Alors le vieux ministre honnête se rendit dans l’atelier où les deux menteurs travaillaient sur les deux métiers vides. Mon Dieu ! pensa le vieux ministre en écarquillant les yeux, je ne vois rien du tout ! Mais il se garda bien de le dire. Les deux autres le prièrent d’avoir la bonté de s’approcher et lui demandèrent si ce n’était pas là un beau dessin, de ravissantes couleurs.

Ils montraient le métier vide et le pauvre vieux ministre ouvrait des yeux de plus en plus grands, mais il ne voyait toujours rien puisqu’il n’y avait rien. « Grands dieux ! se disait-il, serais-je un sot ? Je ne l’aurais jamais cru et il faut que personne ne le sache ! Remplirais-je mal mes fonctions ? Non, il ne faut surtout pas que je dise que je ne vois pas cette étoffe. » Eh bien ! vous ne dites rien ? dit l’un des artisans. Oh ! c’est vraiment ravissant, tout ce qu’il y a de plus joli, dit le vieux ministre en admirant à travers ses lunettes. Ce dessin ! … ces couleurs ! …

Oui, je dirai à l’empereur que cela me plaît infiniment. Ah ! nous en sommes contents. Les deux tisserands disaient le nom des couleurs, détaillaient les beautés du dessin. Le ministre écoutait de toutes ses oreilles pour pouvoir répéter chaque mot à l’empereur quand il serait rentré, et c’est bien ce qu’il fit. Les escrocs réclamèrent alors encore de l’or et encore des soies et de l’or filé. Ils mettaient tout dans leurs poches, pas un fil sur le métier, où cependant ils continuaient à faire semblant de travailler.

Quelque temps après, l’empereur envoya un autre fonctionnaire important pour voir où on en était du tissage et si l’étoffe serait bientôt prête. Il arriva à cet homme la même chose qu’au ministre, il avait beau regarder, comme il n’y avait que des métiers vides, il ne voyait rien. N’est-ce pas là une belle pièce d’étoffe ? disaient les deux escrocs, et ils recommençaient leurs explications. « Je ne suis pas bête, pensait le fonctionnaire, c’est donc que je ne conviens pas à ma haute fonction. C’est assez bizarre, mais il ne faut pas que cela se sache. »

Il loua donc le tissu qu’il ne voyait pas et les assura de la joie que lui causait la vue de ces belles couleurs, de ce ravissant dessin. C’est tout ce qu’il y a de plus beau, dit-il à l’empereur. Tous les gens de la ville parlaient du merveilleux tissu. Enfin, l’empereur voulut voir par lui-même, tandis que l’étoffe était encore sur le métier.

Avec une grande suite de courtisans triés sur le volet, parmi lesquels les deux vieux excellents fonctionnaires qui y étaient déjà allés, il se rendit auprès des deux rusés compères qui tissaient de toutes leurs forces - sans le moindre fil de soie. N’est-ce pas magnifique, s’écriaient les deux vieux fonctionnaires, que Votre Majesté admire ce dessin, ces teintes. Ils montraient du doigt le métier vide, s’imaginant que les autres voyaient quelque chose.

« Comment ! pensa l’empereur, je ne vois rien ! Mais c’est épouvantable ! Suis-je un sot ? Ne suis-je pas fait pour être empereur ? Ce serait terrible ! Oh ! de toute beauté, disait-il en même temps, vous avez ma plus haute approbation. » Il faisait de la tête un signe de satisfaction et contemplait le métier vide. Il ne voulait pas dire qu’il ne voyait rien. Toute sa suite regardait et regardait sans rien voir de plus que les autres, mais ils disaient comme l’empereur : « Oh ! de toute beauté ! » Et ils lui conseillèrent d’étrenner l’habit taillé dans cette étoffe splendide à l’occasion de la grande procession qui devait avoir lieu bientôt. Magnifique ! Ravissant ! Parfait ! Ces mots volaient de bouche en bouche, tous se disaient enchantés.

L’empereur décora chacun des deux escrocs de la croix de chevalier pour mettre à leur boutonnière et leur octroya le titre de gentilshommes tisserands. Toute la nuit qui précéda le jour de la procession, les escrocs restèrent à travailler à la lueur de seize chandelles. Toute la ville pouvait ainsi se rendre compte de la peine qu’ils se donnaient pour terminer les habits neufs de l’empereur. Ils faisaient semblant d’enlever l’étoffe de sur le métier, ils taillaient en l’air avec de grands ciseaux, ils cousaient sans aiguille et sans fil, et à la fin ils s’écrièrent :

Voyez, l’habit est terminé ! L’empereur vint lui-même avec ses courtisans les plus haut placés. Les deux menteurs levaient un bras en l’air comme s’ils tenaient quelque chose : Voici le pantalon, voici l’habit ! voilà le manteau ! et ainsi de suite. C’est léger comme une toile d’araignée, on croirait n’avoir rien sur le corps, c’est là le grand avantage de l’étoffe. Oui oui, dirent les courtisans de la suite, mais ils ne voyaient rien, puisqu’il n’y avait rien.

L’empereur enleva tous ses beaux vêtements et les escrocs firent les gestes de lui en mettre. Dieu ! comme cela va bien ! Comme c’est bien pris, disait chacun. Quel dessin, quelles couleurs, voilà des vêtements luxueux. Les chambellans qui devaient porter la traîne du manteau de cour tâtonnaient de leurs mains le parquet et les élevaient ensuite comme s’ils ramassaient cette traîne. C’est ainsi que l’empereur marchait devant la procession sous le magnifique dais, et tous ses sujets s’écriaient :

Dieu ! que le nouvel habit de l’empereur est admirable. Personne ne voulait avouer qu’il ne voyait rien, puisque cela aurait montré qu’il était incapable dans son emploi, ou simplement un sot. Jamais un habit neuf de l’empereur n’avait connu un tel succès. Mais il n’a pas d’habit du tout ! cria un petit enfant dans la foule. Grands dieux ! entendez, c’est la voix de l’innocence, dit son père. Et chacun de chuchoter de l’un à l’autre :

Il n’a pas d’habit du tout … Il n’a pas d’habit du tout ! cria à la fin le peuple entier. L’empereur frissonna, car il lui semblait bien que tout son peuple avait raison, mais il pensait en même temps qu’il fallait tenir bon jusqu’à la fin de la procession. Il se redressa encore plus fièrement, et les chambellans continuèrent à porter le manteau de cour et la traîne qui n’existait pas.


Hans Christian Andersen

samedi 25 octobre 2008

Suave Marilyn

I Wanna Be Loved by You
Some Like it Hot
Marilyn Monroe, Tony Curtis & Jack Lemmon




dimanche 19 octobre 2008

Parachute doré ou mains d'or ?

téléchargeable sur le site
http://www.alainsouchon.net/




B. Lavilliers, B. Medellin

Ecoutez la chanson bien douce

Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !

La voix vous fut connue (et chère ?)
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,

Et dans les longs plis de son voile,
Qui palpite aux brises d'automne.
Cache et montre au coeur qui s'étonne
La vérité comme une étoile.

Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue.

Elle parle aussi de la gloire
D'être simple sans plus attendre,
Et de noces d'or et du tendre
Bonheur d'une paix sans victoire.

Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n'est meilleur à l'âme
Que de faire une âme moins triste !

Elle est en peine et de passage,
L'âme qui souffre sans colère,
Et comme sa morale est claire !...
Ecoutez la chanson bien sage.

Paul Verlaine, Sagesse



Maurice Ravel, Pavane pour une infante défunte,1899

samedi 18 octobre 2008

Aragon, Enfer V

Enfer V

Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon

Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux

Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus

Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps

C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie

C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux

O mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées


Louis Aragon, Enfer V, Autres poésies, Le Voyage de Hollande


jeudi 16 octobre 2008

Ta petite cantate

Pour mon Amie, pour ma Douce, pour ma si Petite à moi

samedi 11 octobre 2008

Sur un banc 5 minutes avec Toi

Jules et Claire,
Jardin Jules Verne, Nantes,
mai 2005




samedi 27 septembre 2008

Marienbad




Sur le grand bassin du château de l'idole,
Un grand cygne noir portant rubis au col,
Dessinait sur l'eau de folles arabesques,
Les gargouilles pleuraient de leurs rires grotesques,
Un Apollon solaire de porphyre et d'ébène,
Attendait Pygmalion, assis au pied d'un chêne,

Je me souviens de vous,
Et de vos yeux de jade,
Là-bas, à Marienbad,
Là-bas, à Marienbad,
Mais où donc êtes-vous ?
Où sont vos yeux de jade,
Si loin de Marienbad,
Si loin de Marienbad,

Je portais, en ces temps, l'étole d'engoulevent,
Qui chantait au soleil et dansait dans les temps,
Vous aviez les allures d'un dieu de lune inca,
En ces fièvres, en ces lieux, en ces époques-là,
Et moi, pauvre vestale, au vent de vos envies,
Au cœur de vos dédales, je n'étais qu'Ophélie,

Je me souviens de vous,
Du temps de ces aubades,
Là-bas, à Marienbad,
Là-bas, à Marienbad,
Mais où donc êtes-vous ?
Vous chantez vos aubades,
Si loin de Marienbad,
Bien loin de Marienbad,

C'était un grand château, au parc lourd et sombre,
Tout propice aux esprits qui habitent les ombres,
Et les sorciers, je crois, y battaient leur sabbat,
Quels curieux sacrifices, en ces temps-là,
J'étais un peu sauvage, tu me voulais câline,
J'étais un peu sorcière, tu voulais Mélusine,

Je me souviens de toi
De tes soupirs malades,
Là-bas, à Marienbad,
A Marienbad,
Mais où donc êtes-vous ?
Où sont vos yeux de jade,
Si loin de Marienbad,
Bien loin de Marienbad,

Mais si vous m'appeliez, un de ces temps prochains,
Pour parler un instant aux croix de nos chemins,
J'ai changé, sachez-le, mais je suis comme avant,
Comme me font, me laissent, et me défont les temps,
J'ai gardé près de moi l'étole d'engoulevent,
Les grands gants de soie noire et l'anneau de diamant,

Je serai à votre heure,
Au grand château de jade,
Au cœur de vos dédales,
Là-bas à Marienbad,
Nous danserons encore
Dans ces folles parades,
L'œil dans tes yeux de jade,
Là-bas, à Marienbad,

Avec vos yeux de jade,
Nous danserons encore,
Là-bas, à Marienbad,
Là-bas, à Marienbad,
Mais me reviendras-tu ?
Au grand château de jade,
A Marienbad...

vendredi 26 septembre 2008

Talking about Revolution



Don't you know
They're talkin' bout a revolution
It sounds like a whisper
Don't you know
They're talkin' about a revolution
It sounds like a whisper

While they're standing in the welfare lines
Crying at the doorsteps of those armies of salvation
Wasting time in the unemployment lines
Sitting around waiting for a promotion

Poor people gonna rise up
And get their share
Poor people gonna rise up
And take what's theirs

Don't you know
You better run, run, run...
Oh you said you better
Run, run, run...

Finally the tables are starting to turn
Talkin' bout a revolution

dimanche 21 septembre 2008

Aragon, Enfer I









Camille Claudel, L'Implorante



J'ai parfois à mourir en croire
Tristesse je ne sais comment
Ni pourquoi rire toujours ment
Vivre fait mal et tout miroir
Me renvoie un air de dément

Toutes les choses de ce monde
Sont étrangement perverties
Où l'homme et la femme vont-ils
Et bien que la terre soit ronde
Nous sommes partout des Gentils

J'ai parfois honte honte honte
Du siècle où je vis comme vous
Ah que d'autres nous désavouent
Qu'est-ce qui compte au bout du compte
Entendez le cri des hiboux

Ils ne se parlent que dans l'ombre
Le langage atroce des nids
Leur oeil obscur le soleil nie
Ce sont oiseaux de vivre sombre
A l'heure où voir pour nous finit

Mais pourtant ils sont créatures
Divines à nous comparer
Hiboux hiboux quand vous voudrez
Je change avec vous de nature
Pour fuir le jour déshonoré

Pour fuir l'haleine et le contrôle
Des monstres ici qu'on coudoie
Les traces creuses de leurs doigts
Le frôlement de leurs épaules
Et le respect que je leur dois

Aujourd'hui l'existence humaine
Coûte mentir et parler bas
Et je prefère le trépas
A ce paradis de la haine
Qu'on paye un prix qu'il ne vaut pas

Laissez moi tous tant que vous êtes
Qui parlez le langage du bien
Je ne vous demanderai rien
Que me donner la nuit des bêtes
Du cerf du renard ou du chien

Louis Aragon, Enfer I, Autres Poésies, Le voyage de Hollande

jeudi 18 septembre 2008

V. Sanson, Francofolies, 1989

Je les hais (inédit, Francofolies Montréal 1989)


Le maudit


Mortelles pensées


Vancouver



A St Lazare (Francofolies, Montréal, 1989)
Chanson d'Aristide Bruant (1887)



Ma révérence

jeudi 11 septembre 2008

Flow my tears

John Dowland Lachrimae
Andréas Scholl



Flow, my tears, fall from your springs!
Exiled for ever, let me mourn;
Where night's black bird her sad infamy sings,
There let me live forlorn.

Down vain lights, shine you no more!
No nights are dark enough for those
That in despair their lost fortunes deplore.
Light doth but shame disclose.

Never may my woes be relieved,
Since pity is fled;
And tears and sighs and groans my weary days
Of all joys have deprived.

From the highest spire of contentment
My fortune is thrown;
And fear and grief and pain for my deserts
Are my hopes, since hope is gone.

Hark! you shadows that in darkness dwell,
Learn to contemn light
Happy, happy they that in hell
Feel not the world's despite.

dimanche 7 septembre 2008

Perlinpinpin Barbara

Pour ma petite Galou

samedi 6 septembre 2008

Patachou

Bal chez Temporel


Chanson d'Irma la Douce

mardi 2 septembre 2008

L'opportuniste

L'opportuniste, J. Dutronc

samedi 30 août 2008

Brassens V de Le vent à Venus callipyge

Le vent


Le vieux Léon


Les amoureux des bancs publics


Les copains d'abord


Les deux oncles (par Souchon)


Les funérailles d'antan


Les passantes (A. Pol)



Les sabots d'Hélène


Les trompettes de la renommée


Misogynie à part


Mourir pour des idées


Pauvre Martin


Pénélope


Rien à jeter


Saturne


Sauf le respect que je vous dois


Si le Bon Dieu l'avait voulu (P. Fort)


Supplique pour être enterré à Sète


Une jolie fleur



La marguerite


Venus Callipyge