dimanche 21 septembre 2008

Aragon, Enfer I









Camille Claudel, L'Implorante



J'ai parfois à mourir en croire
Tristesse je ne sais comment
Ni pourquoi rire toujours ment
Vivre fait mal et tout miroir
Me renvoie un air de dément

Toutes les choses de ce monde
Sont étrangement perverties
Où l'homme et la femme vont-ils
Et bien que la terre soit ronde
Nous sommes partout des Gentils

J'ai parfois honte honte honte
Du siècle où je vis comme vous
Ah que d'autres nous désavouent
Qu'est-ce qui compte au bout du compte
Entendez le cri des hiboux

Ils ne se parlent que dans l'ombre
Le langage atroce des nids
Leur oeil obscur le soleil nie
Ce sont oiseaux de vivre sombre
A l'heure où voir pour nous finit

Mais pourtant ils sont créatures
Divines à nous comparer
Hiboux hiboux quand vous voudrez
Je change avec vous de nature
Pour fuir le jour déshonoré

Pour fuir l'haleine et le contrôle
Des monstres ici qu'on coudoie
Les traces creuses de leurs doigts
Le frôlement de leurs épaules
Et le respect que je leur dois

Aujourd'hui l'existence humaine
Coûte mentir et parler bas
Et je prefère le trépas
A ce paradis de la haine
Qu'on paye un prix qu'il ne vaut pas

Laissez moi tous tant que vous êtes
Qui parlez le langage du bien
Je ne vous demanderai rien
Que me donner la nuit des bêtes
Du cerf du renard ou du chien

Louis Aragon, Enfer I, Autres Poésies, Le voyage de Hollande

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