dimanche 1 novembre 2009

Identité française en 2009 ?

En admettant que cette question ait un sens, encore faut-il que celui qui la la pose soit digne de la poser.
http://www.cimade.org/


"Il m'est arrivé une fois dans ma vie de me sentir fier d'être français, et ce n'était certainement ni lors de la Coupe du monde de football en 1998 ni lors de l'élection présidentielle en 1981. C'était lorsque j'ai réalisé quelle protection assurait l'hôpital français aux patients atteints d'affections graves. [...] Je me souviens qu'il en allait de même pour tous, et même pour les familles qui venaient d'ailleurs. Je me souviens de tous ces enfants qui arrivaient à Curie venus d'Europe ou de pays plus lointains parce qu'ils savaient qu'ils trouveraient en France plutôt que dans leur propre pays les garanties du traitement le meilleur et le moins lourd. Je me souviens plus précisément de cette petite fille africaine débarquée de l'avion sur un brancard, arrivée en plein milieu de la nuit dans les couloirs de l'Institut Curie, défigurée par une tumeur énorme qui avait fait grandir pendant des semaines ou des mois la masse d'un cancer qui gonflait ignoblement sa joue droite et ouvrait sur son visage la plaie d'un sourire terrible. Je me souviens d'avoir aussitôt pensé qu'elle était perdue mais qu'il était juste - quel qu'en soit le coût absurde- qu'il y ait un lieu, quelque part dans le monde, où elle puisse trouver refuge, guérir ou bien mourir et que ce lieu se trouvait dans le cinquième arrondissement de Paris "

Philippe Forest, Tous les enfants sauf un, p. 56-57

lundi 5 octobre 2009

mercredi 12 août 2009

L'Homme Parle



"A propos de L'Homme parle

Enfants du métissage des cultures et du brassage des ethnies, « L’Homme parle » est le symbole d’une jeunesse unie contre les offensives capitalistes et contre toutes les formes d’oppression et de discrimination. Tout le monde est appelé à agir et à parler pour changer les choses au quotidien et aspirer à plus d'humanité. Le poing en l’air et le mic à la main, « L’Homme parle » des combats à mener et des causes perdues, des paradis artificiels et des pièges du monde moderne, des moments de bonheur et de l’amertume de la vie… et de l’amour qu’on néglige trop souvent.

Dans un univers musical unique entre rap, reggae, slam, chanson et musique du monde, « L’Homme parle » revendique un hip-hop alter mondialiste frais et engagé, soufflant un vent libérateur sur les terres stériles des musiques cellophanées. Epaulé quelquefois par Maître JB (clavier Soul), Marxs a composé toutes les instrus de l’album en privilégiant la musicalité et l’ouverture d’esprit.

L’Homme parle, c’est aussi un engagement fort pour des causes et dans des projets sociaux-culturels, écologiques et humanitaires. Basé au centre culturel du quartier de Valdegour, le groupe a mis en place des ateliers de cultures actuelles pour les jeunes et un studio d’enregistrement. Nous soutenons depuis 3 ans le projet humanitaire un pont entre Nîmes et Mekhnès qui consiste à acheminer par camion au Maroc du matériel médical et des vêtements pour des fondations d’aide aux orphelins et aux enfants de la rue. La prochaine tournée sera aussi une occasion de sensibiliser le public sur des problèmes tels que les droits humains fondamentaux et la protection de l’environnement grâce à l’intervention sur place de plusieurs ONG.

Chaque concert est une occaz de militer dans un esprit de fête et d’échange. Vous vous ferez vite embarquer par la bonne humeur et l’énergie du groupe, pour un tour du monde musical de la condition humaine. Et puisque «L’homme parle » est aussi une femme, Joana vous fera “tourner la tête”, apportant une touche de sensualité dans ce monde de brutes !


Contact Management : 04 66 23 17 85 - management@label-dtf.com
Contact Promo : 06 16 53 59 22 - flavie.rodriguez@gmail.com
Contact Touneur : 03 80 410 333 - oxotour@kioukan.com"


http://www.myspace.com/lhommeparle

mercredi 8 juillet 2009

J.-S. Bach, Cantate BWV 21






Ich hatte viel Bekümmernis in meinem Herzen
aber deine Tröstungen erquicken meine Seele


dimanche 7 juin 2009

Caldara : Maddalena ai piedi di Cristo


Bernarda Fink, Aria "Orribili, Terribili"




Andreas Scholl, Aria "Spera consolati"



Andreas Scholl, Aria "Me Ne Rido Di Tue Glorie"




Andreas Scholl, Aria "Amor Celeste"




Andreas Scholl, Aria "La ragione, s'un'alma conseglia"

samedi 30 mai 2009

vendredi 8 mai 2009

Hitler est mort / Klaus Mann

HITLER EST MORT
Klaus Mann, The Stars and Stripes, Rome 6 mai 1945
(in Klaus Mann, Contre la barbarie, 1925-1948, Paris Phebus, 2009,
traduit en français par Dominique-Laure Miermont et Corinna Gepner).

« Ce n’était pas un grand homme. En aucune façon. Et pourtant il a eu un grand pouvoir. Bien qu’il manquât de carrure et de génie, il a réussi à terroriser tout un continent et à défier le monde civilisé.
Hitler se vantait volontiers que son Troisième Reich durerait éternellement – au moins mille ans. En réalité, il a gouverné l’Allemagne pendant douze ans et quatre-vingt-dix jours – du 30 janvier 1933, date de sa nomination au poste de chancelier du Reich, au 1er mai 1945, jour où la radio allemande annonça sa mort. Cela peut paraître court, mais c’est quand même une durée incroyablement longue quand on prend en considération le caractère particulier de ce régime et de ce chef.
Incroyable est le mot ; le cas Hitler a vraiment quelque chose d’incroyable en soi. Mais l’histoire du chef nazi est également très instructive et donne à réfléchir. Les générations futures seront étonnées et choquées de cette saga du crime et de la folie. Il serait peut-être souhaitable qu’à titre de leçon et d’avertissement le Troisième Reich et ses dirigeants survivent aux mille années à venir.
Comment une chose pareille a-t-elle été possible ? Cette question, les générations futures ne vont pas manquer de se la poser. Qu’est-ce qui a permis à un clown névrotique d’avoir sous son contrôle la vie de millions de gens ? Quel a été le secret de cette fantastique et sinistre carrière?
Pour essayer de répondre à cette question, les futurs historiens feront sans doute appel à l’autobiographie et profession de foi de Hitler intitulée Mein Kampf. Mais ils seront déçus. Le long récit que Hitler a dicté à son ami Rudolf Hess en 1924 dans la forteresse bavaroise de Landsberg offre très peu d’informations pertinentes. Mis à part une accumulation de clichés nationalistes et d’invectives haineuses, elle ne contient guère d’idées originales. Et en ce qui concerne le style de Hitler, on peut constater qu’il maltraite la langue allemande autant que ses adversaires politiques. La seule chose que prouve Mein Kampf, c’est l’ignorance et l’outrecuidance de son auteur.
Qu’en est-il de son talent d’orateur dont on dit tant de bien ? Quand je l’ai entendu la première fois, dans les années vingt, son nom ne me disait pas grand-chose ; c’est par hasard et par pure curiosité que je me suis mis à observer, dans une taverne de Munich l’allure de cet obscur agitateur. Sa voix avait un son rauque désagréable ; il parlait allemand avec l’accent affecté du provincial autrichien qui se veut « cultivé » ; ce qu’il disait n’avait aucun sens. Hurlant et gesticulant comme s’il vivait dans un état de rage permanent, il n’arrêtait pas de proférer d’absurdes accusations, toujours les mêmes, contre certaines nations, contre des groupes religieux, des partis politiques et des gouvernements étrangers. Le noyau dur de cette pompeuse harangue consistait en une double affirmation, à savoir que L’Allemagne n’avait en réalité pas perdu la guerre mais avait été privée de sa victoire à cause de traîtres qui avaient intrigué contre elle, et que lui, l’orateur, avait été élu par la Providence pour rétablir la grandeur et la gloire de sa patrie. C’était un spectacle affligeant.
La seule chose remarquable dans tout cela était la réaction du public. On le prenait au sérieux. On applaudissait. Etaient-ils fous ou sous hypnose ? Une malédiction s’était-elle abattue sur eux pour les priver de leur sens critique et de leur raison au point de leur faire acclamer un magma aussi écoeurant de rodomontades et d’inepties. Etait-il possible qu’ils croient ses grotesques promesses et ses monstrueux mensonges ?
Incroyable ! C’est ce que je pensais en entendant l’une de ses explosions rhétoriques. Il était incompréhensible qu’un orateur public ayant un langage aussi primaire et maniant des procédés aussi éculés pût s’en sortir impunément. Mais c’est ce qui arriva. Le nombre de ses partisans ne cessa d’augmenter. Et quelques années s’écoulèrent avant qu’il ne devînt le chef du plus puissant et plus dynamique parti d’Allemagne. […]
Le dessinateur anglais David Low avait raison quand il dit quelques années plus tard : « on n’a pas besoin de faire sa caricature, il en est déjà une ». Comment un homme, qui était à lui seul une caricature, pouvait-il espérer un jour arriver au pouvoir dans un pays comme l’Allemagne ? Manifestement il n’avait rien à offrir – aucune vision d’avenir, aucune expérience, aucune intelligence. Il n’avait rien de spécial sauf peut-être ce brin de folie dans les yeux …
Effectivement ce qui attirait l’attention sur lui, c’était la dimension pathologique et presque démente de son égocentrisme et de sa haine. Cette double impulsion, haine et égocentrisme, était la source de toute son énergie. Ce pouvoir dont il désirait s’emparer, il avait seulement pour lui la valeur d’un instrument qui lui permettait de satisfaire sa passion destructrice, à savoir blesser et anéantir le plus grand nombre d’êtres humains. Et il arriva à ses fins. Grâce aux allemands.
Les junkers et industriels allemands virent en Hitler le chef de la « révolution conservatrice » - l’homme qui avait la capacité et la volonté de les aider à conserver ou à augmenter leurs privilèges et à empêcher le progrès social. Les jeunes allemands des deux sexes, dégoûtés de l’immobilisme et des tergiversations de la république de Weimar, acclamèrent le mouvement comme porteur de la « révolution de la jeunesse ». Les nationalistes allemands, qui souffraient d’un sentiment d’infériorité depuis la défaite de 1918, n’étaient que trop disposés à accepter Hitler, prophète et chef de la « révolution nationale » qu’ils appelaient de leurs vœux depuis si longtemps.
Pour Hitler et pour sa bande, toutefois, programmes et principes n’avaient pas plus d’importance que n’importe quel autre stratagème démagogique – c’étaient des armes faciles et efficaces dans leur lutte pour un pouvoir toujours plus grand. La nation ne signifiait absolument rien pour eux. Ils ne croyaient à rien ; rien n’avait d’importance hormis leur propre carrière. Leur mouvement était la révolution de l’inanité, la « révolution du nihilisme », comme l’a très bien dit Hermann Rauschning, un réfugié allemand, ancien confident du Führer.
Terreur et mensonges étaient les accessoires habituels de ce régime ; la guerre en était la conséquence inéluctable. Le Troisième Reich a évolué logiquement et continuellement dans le sens de sa propre loi interne et immanente – depuis la mobilisation totale jusqu’à la destruction totale. Même si Hitler avait réussi à conquérir l’Angleterre, la Russie, les Etats-Unis, le combat aurait continué. Il se serait trouvé un autre ennemi. Il était décidé à continuer de se battre tant qu’il y avait quelque chose à détruire.
Il aurait été facile de déjouer la farce tragique de l’aventure hitlérienne – aventure dévastatrice et dépourvue d’objectifs. Les Allemands auraient pu le mettre à la porte quand ils le voulaient, même après avoir commis l’énorme erreur de l’avoir choisi comme chef. Et jusque en 1938, les démocraties auraient pu l’empêcher d’agir sans risquer un conflit armé. Mais de manière incompréhensible, elles le laissèrent faire. Pendant qu’il mobilisait toutes les forces de l’Allemagne pour lancer son attaque massive sur le monde civilisé, le monde ne bougea pas – paralysé par l’autosatisfaction et l’inertie.
La crise provoquée par Hitler était donc peut-être une leçon nécessaire, même si elle fut cruelle et dispendieuse. Il n’y a qu’un moyen d’empêcher que ne se reproduise une telle catastrophe : une solidarité parfaite, et l’organisation soigneusement planifiée de la paix à l’échelle mondiale.
Dans un monde sans unité et sans détermination morale, chaque aventurier dépourvu de scrupules peut détourner à des fins destructrices les moyens mis à sa disposition par la technique moderne et la propagande. Pour cela nul besoin qu’il soit un grand homme ou un génie du Mal. Hitler n’était ni l’un ni l’autre. Il était simplement d’une méchanceté peu commune et un peu cinglé
Ce n’était pas un grand homme. »




Giroflé-Girofla (Rosa Holt, Yves Montand)



Giroflé-Girofla est un texte de Rosa Holt(1935), poète anti-nazie réfugiée en France après l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933. Ce texte fut mis en musique par Henri Goublier en 1937 sur une ronde populaire enfantine. Elle fut chantée avant la guerre au caveau de la République et l'interprétation qu'en fit Y. Montand sur le disque "Chansons populaires de France" contribua grandement à la faire connaître dans les anneés 50.

mercredi 29 avril 2009

Gainsbourg / Noir Désir / Les petits papiers


Laissez parler
Les p'tits papiers
A l'occasion
Papier chiffon
Puissent-ils un soir
Papier buvard
Vous consoler

Laisser brûler
Les p'tits papiers
Papier de riz
Ou d'Arménie
Qu'un soir ils puissent
Papier maïs
Vous réchauffer

Un peu d'amour
Papier velours
Et d'esthétique
Papier musique
C'est du chagrin
Papier dessin
Avant longtemps

Laissez glisser
Papier glacé
Les sentiments
Papier collant
Ça impressionne
Papier carbone
Mais c'est du vent

Machin Machine
Papier machine
Faut pas s'leurrer
Papier doré
Celui qu'y touche
Papier tue-mouches
Est moitié fou

C'est pas brillant
Papier d'argent
C'est pas donné
Papier-monnaie
Ou l'on en meurt
Papier à fleurs
Ou l'on s'en fout

Laissez parler
Les p'tits papiers
A l'occasion
Papier chiffon
Puissent-ils un soir
Papier buvard
Vous consoler

Laisser brûler
Les p'tits papiers
Papier de riz
Ou d'Arménie
Qu'un soir ils puissent
Papier maïs
Vous réchauffer

dimanche 26 avril 2009

Ferran Savall / Mireu el nostre mar (2008)



C’est une berceuse hébraïque traditionnelle que nous interprétons en fusionnant sa mélodie avec d’autres rythmes et d’autres sonorités provenant des traditions Méditerranéennes comme celles de la musique grecque ou les psalmodies orientales.

dimanche 15 mars 2009

mercredi 11 mars 2009

dimanche 8 mars 2009

samedi 7 mars 2009

mardi 3 mars 2009

Mon vivant poème



Va. Ce monde, je te le donne.
Va. Jamais n'abandonne.
C'est vrai qu'il n'est pas à l'image
De rêves d'un enfant de ton âge,
Je sais.
Le monde a des accents.
Souvent, il nous montre les dents
Mais je l'aime comme je t'aime.
Et je voudrais tant que tu l'aimes,
Je voudrais tant.
Tu en es le vivant poème.

Pars, le monde est un espoir.
L'espoir, jamais ne l'abandonne.
Oui, le monde est notre histoire
De matins clairs et de nuits noires,
Je sais.
Je sais que le monde a des armes.
Le monde parfois nous désarme
Mais il t'aimera comme tu l'aimes.
Il t'aimera.
La vie est un poème
Que tu vas écrire toi-même.

Pars, ce monde, va le voir.
Jamais ne perds l'espoir.
Va. Dans ce monde, va te voir.
Traverse les miroirs.
Je sais,
Je sais que le monde a des dents.
Comme nous, le monde se défend
Mais il t'aimera comme tu l'aimes.
La vie est un long je t'aime,
Un long je t'aime.

Pars. Ce monde, va le voir.
Traverse les miroirs
Et jamais n'abandonne.
Va, va.
Va, traverse les miroirs
Où se reflète ton regard.
Tu es un vivant poème.
La vie est un long je t'aime
Dont tu es le vivant poème,
Le vivant poème,
Le vivant poème,
Mon vivant poème.

vendredi 27 février 2009

Vigile


http://universitesenlutte.wordpress.com/



Le mouvement des chercheurs et universitaires doit maintenant «monter en généralité»

Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS.


Quel est le coût de ces réformes emphatiques et incessantes? Faut-il continuer à livrer nos services publics à une gestion néo-libérale dont les limites sont devenues patentes? Dans quelle société, et selon quelles valeurs, voulons-nous vivre? Ce sont ces questions que les chercheurs et les enseignants doivent porter, au-delà de leur colère légitime, explique Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS.

En annonçant la rupture, Nicolas Sarkozy n'avait pas trompé sur la marchandise. Malgré ses incohérences discursives de chauve-souris (voyez mes ailes, je suis libéral et atlantiste, voyez mon corps, je suis national et protecteur), ses objectifs sont clairs : d'une part, soumettre la société française à la dictature d'une rationalité strictement comptable, quantitative et financière, celle du New Public Management, en cassant l'autonomie des corps intermédiaires, des institutions, des métiers ; de l'autre, la corseter à grand renfort de lois liberticides, de fichiers, de vidéosurveillance, de descentes policières aux abords des écoles et dans les établissements eux-mêmes sous prétexte de lutte contre l'immigration clandestine et la drogue, d'ingérences dans les médias, la magistrature ou le monde des affaires, d'invocations étatiques de l' « identité nationale » (incitations à la délation à l'appui), de traques contre une « ultragauche » censée être virulente mais dont les juges ont quelque peine à établir la culpabilité. D'un côté, le néo-libéralisme ; de l'autre, le dirigisme, et de plus en plus l'autoritarisme. En bref, le national-libéralisme.

La mise au pas de l'Université et le démantèlement du CNRS, sous prétexte d' « autonomie », de « réforme » et de « mise à niveau internationale », ne sont qu'un pan de ce projet global, qui concerne symétriquement l'hôpital, la médecine jadis « libérale », les transports, la poste, la Justice, l'Education nationale, et à peu près tous les secteurs sur lesquels l'Etat peut agir. La technique gouvernementale est également partout la même : au mieux, « balader » les partenaires sociaux par des négociations en trompe l'œil ; au pire, les affronter en exhalant le mépris à leur encontre et en taxant de « corporatistes » leurs objections. De ce point de vue, le discours du 22 janvier de Nicolas Sarkozy, dans lequel il exprima de manière particulièrement mal informée et vulgaire son dédain à l'égard de la communauté scientifique et universitaire, fut peut-être une erreur tactique, du fait de l'indignation qu'il suscita, mais certainement pas un dérapage qu'expliqueraient le stress, l'énervement habituel et le machisme de comptoir du président de la République. Le réformisme autoritaire sarkozien, qui attribue à l'Etat le monopole de la modernité et de la clairvoyance, selon une inspiration bien française, suppose que les institutions et les métiers qu'il prend pour cibles soient avilis, afin que soit salie leur dignité, disqualifiée leur argumentation, et brisée leur résistance. Il y a du viol dans cette technique de gouvernement, mais comme dans les opérations de purification ethnique celui-ci est rationnel et stratégique.

Dans ces conditions, les chercheurs et les universitaires ont une responsabilité nationale particulière. Parce que leur métier est de comprendre le monde dans lequel nous vivons, parce que leur vocation est au service du pays et non de ses gouvernants successifs, parce qu'ils doivent rendre compte de leurs travaux aux contribuables qui les financent et à l'ensemble des acteurs sociaux, parce qu'ils tiennent entre leurs mains une bonne part de l'avenir en tant que producteurs et dispensateurs de la connaissance, la grande ressource économique de demain,ils doivent dépasser le répertoire de leurs seules revendications et restituer la cohérence d'ensemble de ce qui se passe aujourd'hui en France. L'asservissement de leur profession à la logique néo-libérale est de la même encre que celui de l'ensemble des services publics et des institutions. Le tout à l'étalonnage (bench marking) des performances de la Recherche et de l'Université, appréhendées dans les termes exclusifs de la bibliométrie et des classements internationaux selon des méthodes quantitativistes hautement contestables et arbitraires,leur dévolution à l'autorité toute-puissante de Présidents transformés en grands patrons, la confusion systématique dans le discours présidentiel entre la recherche fondamentale - dont la finalité est la connaissance - et la recherche-développement ou l'innovation - au service de l'industrie - ont leurs exacts pendants. Par exemple, la « tarification à l'activité » (T2A). Celle-ci assure désormais l'intégralité du financement de l'hôpital, la mue de celui-ci en entreprise soucieuse de « maîtrise des coûts de production » et de « positionnement face à la concurrence » sous la houlette compétitive de « chefs de pôle », et la liquidation de l'idée même de qualité des soins au bénéfice d'une logique financière regroupant les malades en « groupes homogènes de séjours » (GHS) qui déterminent une durée idéale de séjour et une tarification non moins optimale. C'est également dans cet esprit que des chaînes de productivité sont instaurées dans la Justice, qui automatisent cette dernière et l'inféodent à la Police, ou que les services publics sont démantelés parce qu'ils coûtent cher, sans que jamais l'on nous dise ce qu'ils rapportent en termes d'environnement, d'attractivité internationale de la France pour les investisseurs étrangers, de qualité de vie ou de mutualisation et d'économie d'échelle des dépenses des ménages.

Chacun en fait l'expérience quotidienne, comme travailleur salarié ou indépendant, comme étudiant ou comme chômeur, comme consommateur, comme usager, comme patient : en voyant un proche n'être accepté en unité de soins palliatifs que si son espérance de vie est supérieure à 2 jours et inférieure à 35 jours, T2A oblige ; en se heurtant à l'opacité de la tarification de la SNCF, d'Air France ou de la téléphonie mobile ; en devant continuer à se porter caution auprès d'un propriétaire pour un enfant trentenaire, titulaire d'un doctorat, mais cantonné dans un CDD à durée illimitée par un Etat qui est le premier à violer le droit du travail ; en découvrant qu'un tribunal de commerce de Lyon s'enorgueillit de délivrer des sentences certifiées ISO 9001 ; en constatant que son épargne a fondu de 40% en 2008 grâce à la merveilleuse gouvernance néo-libérale des marchés financiers ; en consacrant plus de temps au fund raising qu'à la recherche, ou à l'administration dirigiste de l'exercice de la médecine « libérale » qu'à ses malades ; en attendant quatre mois au lieu de quinze jours le raccordement de sa maison au réseau électrique depuis que l'Union européenne a enjoint de dissocier le fournisseur d'énergie de l'exploitant du réseau, pour le bien naturellement de la concurrence et du consommateur !

Il ne s'agit pas de reprendre le vieux débat entre les mérites (ou les défauts) respectifs du marché et de l'Etat, mais de ramener notre classe politique à un minimum de bon sens. Quel est le coût de ces réformes emphatiques et incessantes qui empêchent les gens de travailler, quand de simples ajustements les y aideraient ? Est-il bien raisonnable de livrer notre hôpital, notre Université, notre Recherche, notre Justice, nos services publics à une gestion néo-libérale dont les limites sont devenues patentes aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, et qui a plongé le monde dans la plus grave crise économique et financière depuis 1929 ? Dans quelle société, et selon quelles valeurs, voulons-nous vivre ? Au-delà de leur propre malaise, et de la colère qu'a fait monter en eux le discours insultant du chef de l'Etat, les chercheurs et les universitaires doivent, non apporter la réponse, mais poser la question et alerter leurs concitoyens sur les vrais enjeux du national-libéralisme.

jeudi 26 février 2009

French Doctor B. and Mister K.

Afrique, Trafics, Pompafric

Tiken Jah Fakoly, live, 2007

samedi 21 février 2009

mercredi 18 février 2009

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?



La chanson de Ferré est adaptée d'un poème d'Aragon Bierstube Magie allemande chantée ici par Marc Ogeret


Bierstube Magie allemande

Et douces comme un lait d'amandes
Mina Linda lèvres gourmandes
qui tant souhaitent d'être crues
A fredonner tout bas s'obstinent
L'air Ach du lieber Augustin
Qu'un passant siffle dans la rue

Sofienstrasse Ma mémoire
Retrouve la chambre et l'armoire
L'eau qui chante dans la bouilloire
Les phrases des coussins brodés
L'abat-jour de fausse opaline
Le Toteninsel de Boecklin
Et le peignoir de mousseline
qui s'ouvre en donnant des idées

Au plaisir prise et toujours prête
O Gaense-Liesel des défaites
Tout à coup tu tournais la tête
Et tu m'offrais comme cela
La tentation de ta nuque
Demoiselle de Sarrebrück
Qui descendais faire le truc
Pour un morceau de chocolat

Et moi pour la juger que suis-je
Pauvres bonheurs pauvres vertiges
Il s'est tant perdu de prodiges
Que je ne m'y reconnais plus
Rencontres Partances hâtives
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus

Tout est affaire de décors
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays

Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
je m'endormais comme le bruit

C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenait mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien

Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola

Elle était brune et pourtant blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu

Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau

Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke

Louis Aragon, Le Roman inachevé

mercredi 11 février 2009

Le silence et l'orage

J'aimerais te donner :
Une herbe,
Une saison de lumière,
Les champs qui conduisent à la mer,
Les blés,
Toutes les couleurs de l'arc-en-ciel,
La transparence des feuilles
Les trèfles,
La vie et son long poème
L'orage sans le tonnerre
L'espérance toute entière.

Dominique Cagnard, Presque le bonheur

samedi 7 février 2009

Appel de la colline - Presse indépendante et liberté publique

Vendredi 30 janvier, Mediapart, Le Nouvel Observateur, Les Inrockuptibles, Marianne, Rue89 et Charlie Hebdo organisaient au théâtre du Châtelet à Paris une soirée "Pour une presse libre et indépendante"

Signez l’Appel de la Colline pour une presse libre et indépendante
http://www.mediapart.fr/node/28527







jeudi 5 février 2009

dimanche 1 février 2009

La vie comme un rêve

Her Morning Elegance / Oren Lavie

mercredi 28 janvier 2009

Monteverdi / Pluhar / Jaroussky



"Si dolce" puis "Ohimè ch'io cado" dans une surprenante version jazzy


samedi 24 janvier 2009

Gaza encore

Texte de Uri Avnery, publié sur le site Contreinfo
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2505


Déraison, par Uri Avnery
19 janvier 2009

Pour Avnery, on ne peut comprendre cette guerre sans prendre en compte son arrière plan historique, qui se traduit par « le sentiment de victimisation né de tout ce qui a été infligé aux juifs à travers l’histoire et la conviction qu’après l’Holocauste nous avons le droit de faire n’importe quoi, absolument n’importe quoi pour nous défendre, sans aucune restriction légale ou morale. » De cette conviction est née, nous dit-il, cette déficience de compassion dont est affligée la société israélienne, la rendant aveugle à la souffrance d’autrui. « Les gens ne sont plus choqués par la vue d’un bébé mutilé, ni par des enfants restés des jours auprès du cadavre de leur mère, parce que l’armée ne leur a pas permis de fuir leur maison détruite. Il semble que plus personne ne s’en soucie. Ni le peuple, ni les soldats, ni les médias, ni les politiques, ni les généraux. » Bien sûr, Israël proclamera sa victoire, conclut-il, mais au bout du compte, un accord devra être signé, dont tout le monde connaît les termes. Car si aucun pays ne peut tolérer d’être la cible de roquettes, aucune population ne peut non plus accepter de vivre sous blocus. Et dans les années qui viennent, cette guerre apparaîtra pour ce qu’elle a été : une pure folie.

Par Uri Avnery, Gush Shalom, 17 janvier 2009

169 ANNEES avant la Guerre de Gaza, Heinrich Heine a écrit un poème prémonitoire de 12 vers, sous le titre “à Edom ». Le poète judéo-allemand parlait de l’Allemagne, ou peut-être de toutes les nations de l’Europe chrétienne. Voici ce qu’il a écrit (dans ma traduction élémentaire) :

“Depuis au moins une centaine d’années / Nous avons un agrément / Tu me permets de respirer / J’accepte ta rage folle// Parfois, quand les jours s’obscurcissent/ Il te prend d’étranges humeurs/ En attendant tu décores tes griffes / Avec le sang qui coule de mes veines // Maintenant notre amitié se raffermit/ Devenant plus forte au fil du jour / Jusqu’à ce que je devienne à mon tour enragé / Comme toi chaque jour d’avantage. »

Le Sionisme, qui est apparu environ 50 ans après l’écriture de ce poème, réalise pleinement cette prophétie. Nous, les Israéliens, sommes devenus une nation comme toutes les nations, et la mémoire de l’Holocauste fait que, de temps en temps, nous nous conduisons comme la pire d’entre elles. Seuls quelques uns d’entre nous connaissent ce poème, mais c’est ce que vit Israël dans son ensemble.

Dans cette guerre, les politiciens et les généraux ont souligné à plusieurs reprises : “Le chef est devenu fou !”, parole au départ lancée par les marchands de légumes du marché, avec comme sens premier : « Le chef est devenu fou et vend les tomates à perte ! » Mais avec le temps, le bon mot est devenu une doctrine meurtrière qui revient dans le discours public : pour dissuader nos ennemis, nous devons nous conduire comme des dingues, nous déchaîner, tuer et détruire sans pitié.

Dans cette guerre, c’est devenu un dogme politique et militaire : Il faut que nous “les” tuions de manière disproportionnée, que nous “en” tuions mille pour dix d’entre “nous”, c’est à cette condition qu’ils comprendront que ça ne vaut pas la peine de nous chercher des noises. Cà sera « marqué au fer rouge dans leur conscience » (une phrase favorite des Israéliens aujourd’hui). Après çà, ils réfléchiront à deux fois avant de nous envoyer une autre roquette Quassam, même en réponse à ce que nous faisons, quoi que nous fassions.

Il est impossible de comprendre ce que cette guerre a de vicieux sans prendre en compte le contexte historique : le sentiment de victime après tout ce qui a été infligé aux Juifs à travers les âges, et la conviction qu’après l’Holocauste, nous avons le droit de faire n’importe quoi, vraiment n’importe quoi, pour nous défendre, sans entraves liées à la loi ou la moralité.

QUAND LE massacre et la destruction de Gaza étaient au summum, il s’est produit dans les lointains Etats-Unis quelque chose qui n’était pas au sujet de la guerre, mais qui lui était lié. Le film israélien « Valse avec Bachir » a reçu des prix prestigieux. Les media l’ont rapporté avec joie et fierté, mais ont fait bien attention de ne pas mentionner le sujet du film. En soi, c’était un phénomène intéressant : saluer le succès d’un film sans parler de son sujet.

Le sujet de ce film étonnant est l’une des plus sombres pages de notre histoire : le massacre de Sabra et Chatila. Pendant la première guerre du Liban, une milice chrétienne libanaise a perpétré, sous la protection de l’armée israélienne, un massacre haineux de centaines de réfugiés palestiniens sans défense pris au piège dans leur camp : des hommes, femmes, enfants et vieillards. Le film décrit ces atrocités avec précision, y compris notre responsabilité dans cette affaire.

Rien de tout cela n’était mentionné dans les nouvelles sur ce prix. A la cérémonie, le metteur en scène n’a pas profité de l’opportunité qu’il avait de protester contre les évènements de Gaza. C’est difficile de dire combien de femmes et d’enfants furent tués alors que cette cérémonie se déroulait - mais il est clair que les massacres de Gaza sont bien pires que ce qui s’est passé en 1982, qui ont motivé 400 000 Israéliens à sortir de chez eux pour manifester spontanément à Tel-Aviv. Aujourd’hui, à peine 10 000 personnes ont manifesté.

Le bureau d’investigation officiel Israélien qui a enquêté sur le massacre de Sabra a conclu que le gouvernement israélien avait une « responsabilité indirecte » pour ces atrocités. Plusieurs officiels et officiers seniors furent suspendus. L’un d’eux était le commandant de la division, Amos Yaron. Aucun des autres accusés, du Ministre de la Défense, Ariel Sharon, au Chef du Personnel, Rafael Eitan, n’eurent un mot de regret, mais Yaron exprima des remords dans un discours à ses officiers, et admit : « Nos susceptibilités n’ont pas été touchées ».

LES SUSCEPTIBILITES TOUCHEES sont tout ce qu’il y a de plus évidentes dans la Guerre de Gaza.

La première guerre du Liban dura 18 ans et plus de 500 de nos soldats y trouvèrent la mort. Ceux qui ont planifié la deuxième guerre du Liban décidèrent d’éviter une guerre aussi longue avec autant de pertes israéliennes. Ils inventèrent le principe du « chef fou » : démolir des quartiers entiers, en dévaster certains, détruire les infrastructures. En 33 jours de guerre, un millier de Libanais, presque tous civils, furent tués - un record déjà battu au 17ème jour de la guerre de Gaza. Pourtant dans cette guerre du Liban, notre armée a souffert de pertes au sol, et de l’opinion publique qui, après avoir soutenu la guerre avec enthousiasme au début, évolua rapidement..

La fumée de la 2ème guerre du Liban plane au dessus de la guerre de Gaza. En Israël tout le monde avait juré en tirer des leçons. Et la leçon principale était : ne pas risquer la vie d’un seul soldat. Une guerre sans pertes humaines (de notre côté). La méthode : utiliser la force de frappe extraordinaire de notre armée pour pulvériser tout ce qui serait sur notre chemin et tuer tout être vivant dans le voisinage. Ne pas tuer seulement les combattants de l’autre bord, mais tout être humain susceptible d’avoir un jour de mauvaises intentions, même s’il s’agit d’un ambulancier, du chauffeur d’un convoi de vivres ou d’un docteur sauvant des vies.

Détruire tout bâtiment d’où l’on pourrait tirer sur nos troupes, même une école pleine de réfugiés, de malades et de blessés. Bombarder et pilonner toutes les zones, les bâtiments, les mosquées, les écoles, les convois de vivres de l’ONU et même les ruines où l’on enterre les morts. Les media passèrent des heures sur la chute d’un missile Quassam sur une maison à Ashkelon, dans laquelle trois résidents furent choqués, et ne daignèrent dire que quelques mots sur les quarante femmes et enfants tués dans une école de l’ONU, d’où “nous étions canardés”, une assertion qui s’est rapidement révélée comme étant un mensonge flagrant.

La puissance de feu était aussi utilisée pour semer la terreur - pilonnant tout de l’hôpital au grand entrepôt d’alimentation de l’ONU, du point stratégique harcelé aux mosquées. Le prétexte standard : « on nous a tiré dessus depuis là”.

Ceci aurait été impossible, même si le pays entier était infecté de susceptibilités touchées. Les gens ne sont plus choqués à la vue d’un bébé mutilé, ni d’enfants laissés des jours avec le cadavre de leurs mères, parce que l’armée ne les laissait pas quitter leur maison écroulée. Il semble que presque tout le monde est indifférent maintenant : des soldats aux pilotes, des gens des media aux politiciens et aux généraux. Une folie morale, dont le premier exemple est Ehud Barak. Mais il peut être surpassé par Tzipi Livni, qui souriait en parlant de ces évènements horribles.

Même Heinrich Heine n’aurait pas imaginé ça.

LES DERNIERS JOURS ont été dominés par “l’effet Obama”.

Nous sommes à bord d’un avion, et soudain une énorme montagne noire apparaît à travers les nuages. C’est la panique dans le cockpit : comment éviter la collision ?

Ceux qui ont planifié la guerre ont étudié le timing avec soin : pendant les vacances, pendant que tout le monde était en vacances, et pendant que le président Bush était encore en poste. Mais ils ont carrément oublié de prendre en considération une date fatidique : l’entrée de Barack Obama à la Maison Blanche mardi prochain.

Cette date fait planer une ombre énorme sur les évènements. L’israélien Barak comprend que si l’américain Barack se fâche, ce serait un désastre. En conclusion, les horreurs de Gaza doivent s’arrêter avant l’investiture. La semaine qui a conditionné toutes les décisions politiques et militaires. Et non pas « le nombre de roquettes », non pas « la victoire », non pas « casser le Hamas ». ALORS AU MOMENT du cessez-le-feu, la question sera : Qui a gagné ?

En Israël, on ne parle que de “l’image de la victoire” - pas de la victoire elle-même, mais de son « image ». C’est essentiel, pour convaincre le public israélien que toute cette affaire valait la peine. Actuellement, les milliers de gens des media, jusqu’au dernier, se sont mobilisés pour dépeindre cette « image ». L’autre bord va bien sûr en dépeindre une autre.

Les leaders israéliens vont se vanter de deux “résultats” : la fin des tirs de roquettes et le bouclage de la frontière Gaza-Egypte (appelée de part et d’autre la « route de Philadelphie »). Résultats douteux : le tir des roquettes Quassam aurait pu être empêché sans une guerre meurtrière, si notre gouvernement avait bien voulu négocier avec le Hamas après leur victoire aux élections palestiniennes. Les tunnels sous la frontière égyptienne n’auraient pas été creusé tout de suite si notre gouvernement n’avait pas imposé un blocus meurtrier à la Bande de Gaza.

Mais le véritable résultat des planificateurs de la guerre, c’est la barbarie extrême de ce plan : les atrocités auront, de leur point de vue, un effet de dissuasion qui va durer longtemps.

De son côté le Hamas va soutenir que sa survie face à la puissante machine de guerre israélienne - un petit David face au géant Goliath - est en soi une immense victoire. Selon les définitions militaires classiques, le vainqueur d’une bataille est l’armée qui reste sur le champ de bataille quand tout est fini. C’est le Hamas qui reste. Le régime du Hamas dans la Bande de Gaza est toujours debout, malgré tous les efforts pour l’éliminer. C’est un résultat significatif.

Le Hamas va aussi mettre en relief que l’armée israélienne n’était pas fanatique à l’idée d’entrer dans les villes Palestiniennes où les combattants du Hamas étaient retranchés. De plus l’armée (israélienne ndlt) a dit au gouvernement que la conquête de la ville de Gaza coûterait la vie d’environ 200 soldats, et aucun politicien ne pouvait en prendre la responsabilité à la veille des élections.

La réalité est que le fait qu’une force de guerilla de quelques milliers d’hommes munis d’armes légères, contre l’une des plus puissantes armées du monde, avec une force de frappe énorme va apparaître à des millions de Palestiniens et autres Arabes, et pas seulement à eux, comme une victoire sans réserves.

Enfin, il y aura un accord qui inclura des évidences. Aucun pays ne peut tolérer que ses habitants soient exposés à des tirs de roquette venant de l’autre côté de la frontière, et aucune population ne peut supporter un blocus choquant. C’est pourquoi 1. le Hamas devra abandonner les tirs de missiles, 2. Israël devra grand ouvrir les passages entre la Bande de Gaza et le monde extérieur, et 3. l’entrée d’armes dans la Bande de Gaza sera arrêtée (dans la mesure du possible), comme le demande Israël. Tout ceci aurait pu avoir lieu sans la guerre, si notre gouvernement n’avait pas boycotté le Hamas.

CEPENDANT, LES pires résultats de cette guerre sont encore invisibles et n’émergeront que dans les années à venir : Israël a donné au monde entier une image déplorable. Des milliards de gens nous ont vus comme un monstre ruisselant de sang. Ils ne verront jamais plus Israël comme un état qui recherche la justice, le progrès et la paix. La Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis prône un « respect décent des opinions de l’humanité ». C’est un sage principe.

Encore pire, l’impact sur les centaines de millions d’Arabes qui nous entourent : non seulement ils vont voir le Hamas comme les héros de la nation arabe, mais ils vont également voir leurs propres régimes sous un œil cru : rampants, ignobles, corrompus et traîtres. La défaite arabe de 1948 a engendré la chute de la plupart des régimes arabes existants, et l’émergence d’une nouvelle génération de leaders nationalistes, avec comme chef de file Gamal Abd-el-Nasser. La guerre de 2009 pourrait amener la chute des régimes arabes actuels et l’émergence d’une nouvelle génération de leaders - des fondamentalistes islamiques qui haïssent Israël et tout l’Occident.

Dans les années qui viennent, on s’apercevra que cette guerre était une pure folie. Le chef est vraiment devenu fou au sens propre du terme.

Gaza

Compte-rendu de l'enquête d'Amnesty International à Gaza-24 janvier 2009

Gaza : l’évidence de crimes de guerre

Une équipe d’Amnesty International se trouve actuellement à Gaza pour enquêter sur les conséquences du recours disproportionné de l’offensive israélienne.
L’équipe a trouvé des preuves indiscutables du recours intensif au phosphore blanc dans des zones d’habitation densément peuplées de la ville de Gaza et dans le nord de la bande de Gaza.
Amnesty International a dénoncé le recours fréquent à cette arme dans les quartiers résidentiels de Gaza, où la population est dense, est non discriminant par nature.
Une utilisation répétée de cette arme qui frappe sans discrimination a des effets terribles sur les civils et constitue un crime de guerre.

Le cessez-le feu, actuellement en vigueur à Gaza, ne doit pas nous faire oublier le désastre humanitaire et le massacre de la population civile qu’a entraîné l’offensive israélienne depuis le 27 décembre 2008 sur Gaza.
En trois semaines, sept cents civils palestiniens ont été tués sur au moins 1 300 morts, dont 410 enfants et 108 femmes, et plus de 5 300 blessés, selon les services d'urgence de Gaza.
Du côté israélien : dix soldats et trois civils ont péri durant la même période.

Amnesty International exige que des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales sur les atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains soient entreprises pour enquêter notamment sur les attaques israéliennes disproportionnées ou ayant visé des civils ou des bâtiments civils dans la bande de Gaza, ainsi que sur les tirs de roquettes par les groupes armés palestiniens en direction d’agglomérations israéliennes.

jeudi 22 janvier 2009

Droit de L'Homme en France : un recul généralisé

Notes - Jean-Pierre Dubois Président de la Ligue des Droits de l'Homme
Publié sur Terra Nova- 22 janvier 2009
http://www.tnova.fr/index.php

sarkozy

Jean-Pierre Dubois, Président de la Ligue des droits de l'Homme, dresse ici le bilan du premier tiers du mandat de Nicolas Sarkozy au regard de la défense des droits de l'Homme. Dans un contexte d'asphyxie démocratique, la stratégie de déconstruction sociale engagée depuis deux ans appelle une prise de conscience des progressistes. Il faut jeter les bases de solidarités viables et de nouvelles garanties de l'effectivité des droits.

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Dans ce texte percutant et extrêmement nourri, Jean-Pierre Dubois analyse le bilan de Nicolas Sarkozy au regard de la défense des droits de l’Homme. Par delà les annonces et les affichages, le mode d’exercice du pouvoir et les orientations défendues avec vigueur depuis près de deux ans traduisent un recul généralisé.
Ce recul doit être compris dans son contexte, avant tout mondial. L’asphyxie démocratique actuelle est la conséquence d’un bouleversement de l’ordre du Politique, qui affecte profondément les bases sociales des sociétés démocratiques. Les organisations de masse sont fragilisées, alors que les compromis sociaux élaborés dans les pays du Nord sont remis en cause par la mondialisation des enjeux et par l’absence d’une alternative crédible à la marchandisation des rapports sociaux.
A cette asphyxie démocratique s’ajoute en France un activisme présidentiel appuyé sur une véritable stratégie de déconstruction sociale. Cette stratégie s’engouffre dans les brèches sociales, en stigmatisant les « assistés » et les « racailles ». Elle profite des appétits personnels et de la déconfiture idéologique pour pratiquer l’« ouverture », atomisant du même coup les partis et brouillant l’offre politique. Enfin, elle décrédibilise l’Etat en le désengageant du terrain politico-social au profit de régulations marchandes, et en utilisant le bloc police/justice pénale comme un outil exclusivement répressif. Le patchwork idéologique présidentiel, mêlant moralisme traditionnel et discours postmodernes, répond à l’individuation sociétale par un individualisme antipolitique.

Quatre axes résument le bilan de l’action présidentielle au regard des droits de l’homme

- Elle est d’abord définie par une obsession sécuritaire, qui porte atteinte aux principes républicains les plus fondamentaux. Gestion dangereuse de la police, menaces flagrantes sur l’indépendance de la justice, surpopulation honteuse des prisons, multiplication des systèmes de surveillance et de contrôle, les orientations politiques en matière de sécurité sont de plus en plus préoccupantes.


- Elle est également portée par une étatisation de l’identitaire, rendue évidente par la création du ministère de l’identité nationale. Symboles de cette vision du monde inacceptable, l’amendement « test ADN » et la chasse aux sans-papiers y compris devant des lieux comme les écoles primaires, démontrent une dérive xénophobe assumée.


- La politique sociale du Gouvernement, sous couvert de multiples concertations, pend la forme d’une déconstruction méthodique de l’effectivité des droits sociaux. En aggravant les inégalités face à l’impôt, en laissant perdurer la crise du logement, et en réduisant les effectifs et les moyens de l’Education nationale, cette politique participe de l’atomisation des relations sociales.

- Enfin, la politique extérieure de la France souffre d’une discordance criante entre les postures de communication médiatique et les actes réellement assumés. L’exemple chinois est emblématique de l’hypocrisie d’un Gouvernement qui assigne les Droits de l’Homme à un secrétariat d’Etat pour mieux les ignorer dans l’action des autres instances politiques
Pour la gauche, ce bilan appelle une prise de conscience et un travail de réflexion pour porter une parole progressiste, à équidistance d’un irréalisme stérile et des « Realpolitiks » qui ont également échoué. Les progressistes doivent se montrer à même de jeter les bases de solidarités viables. L’invention de nouvelles garanties de l’effectivité des droits et de nouvelles formes d’interdépendance sociale doit permettre la conjugaison de l’individuation et de nouvelles solidarités organiques.

1 - Le cadre et la dynamique : réponse de "rupture" populiste à la fragmentation sociale

1.1 - Rupture et personnalisation du pouvoir

Le candidat Nicolas Sarkozy avait publié, au printemps 2007, une tribune de presse promettant « une démocratie exemplaire ». Un an plus tard, « l’état des droits 2008 » publié par la Ligue des droits de l’Homme avait pour titre « Une démocratie asphyxiée ». Faut-il attribuer pareil contraste à un jusqu’au-boutisme polémique de « droitsdel’hommistes », pour reprendre l’expression empruntée au Club de l’Horloge par certains responsables politiques.
Au-delà de l’agitation frénétique d’un président qui accumule effets d’annonce et promesses de réformes, l’effet de tourbillon qui essouffle médias et interlocuteurs politiques et syndicaux crée une sensation de bouleversement institutionnel, qui interroge sur la réalité et sur l’ampleur de la « rupture » promise avant l’élection. Mais il faut se garder de l’excès de personnalisation qui en résulte nolens volens : faire de l’« hyperprésident » la cause diabolique de tous les maux démocratiques non seulement revient à tomber dans le piège du « storytelling » vantant un président omniscient et omnidécisionnaire, mais conduit à négliger des facteurs qui dépassent de loin sa personne et, pour une assez large part, le seul cas français.

Le slogan de la « rupture » était à l’évidence une habileté tactique qui a permis, pour la première fois depuis 1978, d’éviter la défaite à une majorité sortante (même si cette majorité a maigri à l’Assemblée nationale). Mais pour autant, chacun sent bien qu’il y a en effet « rupture » au moins dans la forme du politique, dans le style présidentiel (la désacralisation signifiant désinstitutionnalisation), et plus profondément le 6 mai 2007 a bien ouvert une nouvelle ère dans le présidentialisme propre à la Vème République et constitue à bien des égards un saut qualitatif: l’omniprésence d’un « président-soleil », l’asphyxie du Premier Ministre et des membres du Gouvernement, l’alignement en politique intérieure comme extérieure (avant l’explosion de la crise financière du moins…) sur le modèle états-unien, la désinstitutionnalisation précisément, le mépris du collectif et de l’intellect, l’affichage des complicités entre sommet de l’État et sommet de la finance privée, n’en sont pas les seuls témoignages.

Faut-il en déduire que la question d’une éventuelle VIème République aurait été résolue de manière inattendue, ni par le camp qui en débattait ni selon les méthodes habituelles… alors même qu’une révision constitutionnelle de grande ampleur était annoncée et est finalement intervenue à l’été 2008 ? Il n’est pas interdit de l’envisager, ne serait-ce que parce que la proposition de réécriture des articles 5 et 20 de la Constitution avancée par le comité « Balladur » a été obstinément écartée par Nicolas Sarkozy: pourquoi changer le droit quand le fait est déjà acquis ?

Sur un plan historique plus large que la Vème République, les références parfois avancées pour relier le « pouvoir personnel » d’aujourd’hui à ceux d’hier ou d’avant-hier constituent en général autant de fausses pistes. Passons sur les comparaisons avec l’Etat français : tout ce qui est excessif est insignifiant. Bonapartisme, boulangisme, poujadisme : si les amitiés affairistes peuvent faire penser à l’époque de Morny et du baron Haussmann, comme le discours hâbleur et la stratégie de provocation verbale restant dans le jeu représentatif éveillent tel ou tel écho de cette nature, ces parallèles relèvent d’un fixisme des catégories idéologiques qui interdit de comprendre le changement d’époque que nous vivons dans l’ordre du Politique.

Car c’est d’abord à partir du contexte contemporain que peut se comprendre l’asphyxie démocratique actuelle. Ce contexte est, à l’évidence, d’abord mondial : globalisation des enjeux, recul subséquent du politique au profit de l’économique et de l’économique au profit du financier, et donc déstabilisation constante des compromis sociaux, autant de facteurs communs aux démocraties « développées » qui contribuent lourdement à la crise de confiance démocratique et ont fait changer de camp l’hégémonie culturelle il y a un quart de siècle.

S’y est ajoutée, depuis une quinzaine d’années, la disparition de toute alternative clairement identifiable à la marchandisation et à la financiarisation universelles, alternative qui offrait une raison d’être historique à la gauche française. Il en est résulté un glissement de l’agenda politique, dans beaucoup de pays européens, vers des thématiques imposées par l’extrême droite : populisme pénal, lien de plus en plus constant et habituel entre immigration et insécurité, dominantes sécuritaires et ethnicisantes. Tout cela à tendu à éclipser sur la scène politico-médiatique une question sociale qui resurgit pourtant de loin en loin avec la force d’une évidence irrépressible. Dès lors, hésitant entre demande sécuritaire et revendications sociales, l’opinion balance entre crispations et attirances pour les mutations accélérées que connaissent les rapports sociaux.



1.2 - Déconstruction sociale et désinstitutionnalisation

C’est dans ce cadre que s’est déployée, pour conquérir le pouvoir suprême, une véritable stratégie de déconstruction sociale partant d’une analyse de l’état de la société beaucoup plus fine que celle de la plupart des autres concurrents, et mise au service d’un projet idéologique assumé sans excès de scrupules.

Sur un plan sociétal, l’exploitation de la fragmentation sociale permet par exemple de saluer la « France qui se lève tôt » sans trop s’attarder sur ce qui oblige certains à se lever beaucoup plus tôt que d’autres… tout en trouvant en réalité l’apport majoritaire décisif chez les inactifs. L’émiettement du statut des salariés et la diminution de la taille des collectifs de travail, faisant régresser la conscience collective, ont constitué un terrain favorable pour mettre en place un jeu de bonneteau « anti-social » au sens premier du terme. Louer le travail et le mérite, faire miroiter un « enrichissez-vous » par la défiscalisation des heures supplémentaires, stigmatiser les « assistés », prôner la « responsabilisation » des jeunes, des familles, etc. : le président parle à chaque individu et ne parle qu’aux individus, partageant avec Margaret Thatcher la conviction que « la société, ça n’existe pas ». Il ne cesse d’opposer les individus les uns aux autres – « lève-tôt » contre « assistés », « vrais jeunes » contre « racaille » , afin de nier toute cause sociale des destins humains et de délégitimer toute solidarité de classe ou de génération.

Sur un plan plus politique, le processus d’atomisation des partis, en germe dans la présidentialisation des institutions dès 1962, renforcé par l’affadissement du contraste droite/gauche et surtout par la séquence institutionnelle de 2000-2001 (passage au quinquennat et renvoi des élections législatives au lendemain de la présidentielle), a été porté à son paroxysme par une « hyperprésidence » jouant des appétits et de la déconfiture idéologique pour faire son marché à l’enseigne de l’« ouverture ». L’ensemble des forces politiques s’en retrouve déstabilisé voire paralysé : non seulement la fragmentation sociale brouille la demande politique, mais l’exacerbation du présidentialisme atomise l’offre politique.

Sur le plan institutionnel enfin, ce début de quinquennat a visé une rupture historique avec ce qu’a été l’État dans la société française : déconstruction de la logistique étatique, en termes de ressources humaines et financières ; désengagement de l’État sur le terrain des régulations politico-sociales, au profit de régulations marchandes, d’autorités réputées indépendantes du politique, et surtout de la régulation répressive par le bloc police/justice pénale ; pratique managériale « d’entreprise », un « président-directeur général de la France » transformant « ses » ministres en directeurs des ressources humaines, financières, répressives, etc., jusqu’à envisager un temps de les faire noter par un cabinet de « chasseurs de têtes ».

S’est ainsi enclenchée une dynamique de désagrégation des institutions sans précédent. Le Premier ministre a pour l’essentiel disparu du champ politique ; le Gouvernement n’a plus d’existence collégiale et fonctionne comme un vivier abritant des destins inégaux et précaires ; la majorité parlementaire, peinant à suivre le train présidentiel, produit à l’occasion des amendements « extrêmes » qui donnent opportunément une image plus « modérée » des projets gouvernementaux sans risques ni conséquences sur la « politique de la nation » ; es magistrats, se sont vu inviter par la garde des Sceaux à appliquer… la politique pour laquelle ont voté 53 % des Français. Comment ne pas rappeler ici l’injonction faite par l’« hyperprésident » au plus haut magistrat du siège, à savoir le premier président de la cour de cassation, de fournir dans les trois mois les moyens juridiques de la violation d’une décision fraîchement rendue par le Conseil constitutionnel (décision du 21 février 2008 sur la « rétention de sûreté » ) ? Curieuse façon de « veille[r] au respect de la Constitution » (article 5 de celle-ci) que ce mépris affiché et assumé de toute séparation des pouvoirs.


1.3 - La révision constitutionnelle : une occasion manquée de démocratisation

La révision de la Constitution intervenue le 23 juillet 2008 a été présentée comme devant assurer un rééquilibrage du présidentialisme, notamment par une augmentation substantielle des pouvoirs du Parlement.
En réalité, non seulement le cœur du présidentialisme n’a été ni désavoué ni consacré, le maintien en l’état des articles 5 et 20 laissant intacte la contradiction sidérante (vue de l’étranger du moins, les Français s’étant mithridatisés) entre texte et pratique, mais les pouvoirs du Parlement, qui se sont en effet renforcés de manière parfois notable (maîtrise partielle de l’ordre du jour, discussion des projets en séance publique sur la base du travail des commissions, etc.) bénéficient pour l’essentiel à la majorité parlementaire. Par exemple, on s’est bien gardé d’imiter l’exemple allemand sur le déclenchement des commissions d’enquête (25% des députés peuvent l’obtenir au Bundestag) comme sur la désignation des membres du Conseil constitutionnel (ceux du BundesVerfassungsGericht sont choisis par la majorité des deux tiers des députés, ce qui oblige à dépasser les monopoles partisans), et rien de sérieux n’encadre en particulier le pouvoir de faire les carrières qui fait l’essentiel de la toute-puissance élyséenne dans la pratique.

Quant aux droits et prérogatives des citoyens, si l’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel rattrape opportunément un retard de près de 20 ans, en revanche la vitrine du Défenseur des droits cache mal la volonté de régler des comptes avec des Autorités trop indépendantes (tout particulièrement avec la Commission de déontologie des forces de sécurité). Il suffit d’évoquer l’idée proprement renversante de retirer au CSA le pouvoir de nommer les présidents de chaînes publiques audio-visuelles pour mesurer l’enflure du tropisme monarchique du régime qui a marqué ces premiers vingt mois de pouvoir sarkozyen.


Faut-il enfin souligner l’impasse décisive sur l’évidente nécessité de proscrire un cumul des mandats unique au monde démocratique et générateur de pratiques féodales qui entravent féminisation, rajeunissement et diversité dans la représentation politique ? Et, bien entendu, est maintenue la discrimination qui, parmi les étrangers, réserve le droit de vote aux élections locales aux seuls Européens, alors que deux tiers des Etats membres de l’Union européenne nous ont déjà devancés en y mettant fin et que la majorité des Français est favorable depuis des années à cette mesure de justice qui rendrait, dans une société plus ouverte aux migrations que les gouvernants ne le voudraient, le suffrage réellement universel : la France sera-t-elle aussi retardataire sur ce plan qu’elle le fut pour reconnaître aux femmes (19 ans après la Turquie par exemple…) assez de raison pour pouvoir voter ?


1.4 - Les enjeux des mutations en cours

Que signifie, dans ce contexte de caporalisation des institutions et de « monarchie élective d’opinion », la République dont la triple qualification de « laïque, démocratique et sociale » sonne de plus en plus creux sur la scène du pouvoir personnel ? Il convient de ne pas sous-estimer le coût civique de la décomposition institutionnelle, les « sujets spectateurs », parfois contents de la forme du puncheur, parfois mécontents des coups qu’ils en reçoivent dans leur vie quotidienne, s’habituant dans les deux cas à ne jamais pouvoir peser à temps sur une « politique hors sol ».

La transformation accélérée de la scène politique, au-delà des habiletés et des faiblesses liées à la personnalité de l’occupant actuel de l’Elysée, est une réponse très précisément « triangulée » à une crise sociale et identitaire. Les relais traditionnels de la démocratie représentative, en termes d’intermédiation politique, sociale et culturelle (partis, syndicats et autres organisations « de masse », mais aussi communautés religieuses, mouvements laïques, etc.), sont de longue date considérablement fragilisés. Les bases sociales de la République, en termes de confiance de larges couches moyennes dans la protection contre la paupérisation et dans l’amélioration de leur sort de génération en génération, sont tout aussi profondément atteintes. Plus généralement, les sociétés industrielles qui avaient élaboré des compromis sociaux à l’échelle nationale, dans des pays du Nord fondant historiquement leur prospérité sur l’exploitation du Sud, sont devenues des sociétés en grande partie « post-industrielles » ouvertes sur un libre échange planétaire très peu régulé, dans lequel les dynamiques économiques et sociales remettent en cause non seulement les anciennes dominations (européennes d’hier, nord-américaines d’aujourd’hui), mais aussi les solidarités organisées à une échelle nationale devenue souvent inefficace.

Le choix se situe dès lors entre d’une part la construction de nouveaux compromis sociaux à une échelle pertinente, ce qui suppose l’institution d’un pouvoir politique légitime à cette même échelle, et d’autre part l’alignement sur une logique de marchandisation, de compétition interindividuelle et de précarisation collective qui est de moins en moins compatible avec toute effectivité de la démocratie politique et sociale. Dans la déconstruction de l’État et du politique à laquelle nous assistons aujourd’hui, le chef d’orchestre dirige avec un certain brio une partition qu’il n’a évidemment pas écrite tout seul. Un patchwork moins incohérent qu’il n’y paraît mêle le moralisme le plus traditionnel (fustigeant au nom du « travail », de la « famille » ou de l’« identité nationale » tantôt l’incapacité des jeunes, des « assistés » et des marginaux à se prendre en charge eux-mêmes, tantôt l’inassimilabilité de « racailles » qui n’aiment pas assez la France pour ne pas devoir la quitter) aux discours les plus post-modernes sur le workfare, l’initiative individuelle et la réussite des « risquophiles ».

Les débuts invraisemblables du quinquennat en termes de « pipolisation », la dépolitisation du pouvoir mise en spectacle ; la privatisation du politique encore à travers la mise en scène (dans le casting gouvernemental d’icônes féminines de la diversité et dans l’entourage présidentiel d’une sorte de fraternité dans les réussites individuelles (le premier cercle d’« amis du CAC 40 ») ; le style managérial et le storytelling présidentiel quotidien ; les valeurs mêmes et les objectifs des nouvelles politiques (défiscalisation de la rente dès l’été 2007, célébration d’« une France de propriétaires », privatisation du procès pénal centré sur « les victimes », réponse législative instantanée aux faits divers) : tout illustre une démarche de réponse par un individualisme anti-politique à l’individuation sociétale.


2 - Le déploiement des régressions des droits

2.1 - Obsessions sécuritaires

On sait que sur ce point l’exercice du pouvoir d’impulsion politique de Nicolas Sarkozy remonte non à 2007 mais à 2002. Reste que, le premier violon étant devenu chef d’orchestre, l’escalade législative sans fin dans la répression de « nouvelles classes dangereuses » s’est incontestablement accélérée depuis 18 mois.

La loi du 10 août 2007 sur la lutte contre la récidive , instaurant des peines automatiques, remet en cause une politique pénale remontant à 1945 et fabrique de la récidive sous couvert de la combattre. Le Conseil constitutionnel n’y a rien trouvé à redire.

La loi du 25 février 2008, instituant la « rétention de sûreté », porte atteinte, elle, aux principes de 1789 (nécessité, proportionnalité, non-rétroactivité des peines). Au nom de la doctrine de la « défense sociale », des « peines préventives » répondent à une « dangerosité » anticipée par un internement arbitraire indéfini. Cette fois, le Conseil constitutionnel a réagi en censurant l’essentiel de l’application rétroactive de la loi… mais même ce faible sursaut a provoqué une réaction sans précédent, le Président de la République demandant au Premier Président de la Cour de Cassation de l’aider à contourner l’autorité de la chose jugée.

Ces surenchères s’accompagnent d’une gestion policière génératrice de dérives de plus en plus préoccupantes qui ont abouti à des tensions parfois dramatiques (Villiers-le-Bel, novembre 2007 ; opération militaire en Corrèze, en novembre 2008, pour arrêter une demi douzaine de libertaires affublés d’une étiquette « terroriste » manifestement démesurée ; dérapages spectaculaires vis-à-vis de collégiens dans le Gers, d’un journaliste à Paris, etc.). Les exemples de pratiques policières incompatibles avec la sûreté des citoyens se multiplient et les cibles se diffusent plus largement dans la population.

La gestion de l’institution judiciaire s’est révélée de plus en plus calamiteuse, qu’il s’agisse de la volonté de domestiquer le ministère public, de la désignation fréquente des juges à la vindicte populaire ou de l’affaiblissement des garanties du procès équitable (notamment du point de vue du principe d’égalité des armes). Les dernières annonces sur la suppression du juge d’instruction, nouvelle rupture avec l’un des piliers de notre système judiciaire, permettent là encore de nourrir des inquiétudes sur l’indépendance de l’instruction dès lors qu’elles conduisent à la confier à un Parquet, institution condamnée par la cour européenne des droits de l’Homme et sur lequel pèse une reprise en main spectaculaire par le pouvoir gouvernemental…

L’état du chaudron pénitentiaire, dont l’inhumanité au quotidien et la dangerosité sociale sont renforcées par une inflation irresponsable et incontrôlée, était déjà considéré il y a près de dix ans par la représentation parlementaire unanime comme « la honte de la République ». Il s’est encore détérioré depuis lors dans des proportions considérables, que jugent par exemple avec une extrême sévérité les rapports successifs des Hauts Commissaires aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe (Alvaro Gil Robles en 2006, Thomas Hammarberg en 2008). Entassement effrayant (près de 65000 détenus – deux fois plus qu’il y a trente ans, alors qu’on nous répète que les juges sont de plus en plus laxistes… pour 50000 places), proportion considérable de personnes souffrants de graves troubles mentaux dont la place est manifestement ailleurs, climat généralisé de violences et de violations de la dignité et des droits des personnes qui contribue fortement à faire de la prison la plus sûre école de la récidive, etc. Le diagnostic est connu de tous ; les réponses politiques vont toutes, si l’on considère non les discours mais les actes, dans le sens d’une aggravation constante dont les motifs démagogiques n’échappent à personne. L’action du Contrôleur général des prisons nommé en 2008 ne peut, à ce jour, suffire à équilibrer cette évolution préoccupante.

Nous voyons s’installer dans l’ensemble de la société des réflexes de contrôle social et les instruments d’une « société de surveillance » sur laquelle la CNIL avait naguère alerté : multiplication énorme du nombre de caméras de vidéosurveillance (rebaptisée « vidéoprotection »…), désormais numérisées ce qui permet stockage et exploitation centralisée/sélective ; multiplication et interconnexion de fichiers contenant des données personnelles, ouverts à bien des utilisateurs y compris politiques (ELOI pour la chasse aux sans papiers ; Base Elèves ; super-fichier « préventif » EDVIGE) ; « traçabilité » sans cesse plus précise des gestes de la vie quotidienne, grâce aux progrès foudroyants des technologies de surveillance discrète (l’émotion tardive et récente de la CNIL sur le passe Navigo pour les Franciliens illustre l’insuffisance des garanties des libertés); encouragements à la délation, incluant pressions sur les fonctionnaires et incitations adressées aux citoyens. Les noces de Léviathan et de Big Brother ne pourront être empêchées sans une prise de conscience collective d’extrême urgence, dont on enregistre quelques prémices depuis l’été 2008.


2.2 Xénophobie d'Etat et ethnicisation du politique

A un moment décisif de la campagne présidentielle, l’annonce d’un ministère de l’identité nationale permit à Nicolas Sarkozy de creuser l’écart par la récupération de l’électorat d’extrême droite. Cette promesse tenue, qui au-delà de l’électoralisme exprime une vision du monde inacceptable, lia définition officielle de l’identité nationale (dont on apprit, avec le discours de Latran, que la racine était chrétienne…) et immigration (afin de faire comprendre contre quoi l’« identité française » serait défendue). La défense des droits et de l’égalité dans une société diverse suppose que l’action civique oppose à l’étatisation de l’identitaire une vision vivante et plurielle des identités des citoyens.

La loi du 20 novembre 2007, confirmant cet affichage identitaire, aggrave la fermeture à l’immigration non « choisie », en particulier par l’obligation de parler français dès la porte du consulat et par le sinistre amendement « tests ADN » dont la symbolique n’a échappé à personne (pas même à la future épouse du Président de la République). Face à cette discrimination « génétique », là encore le Conseil constitutionnel n’a guère brillé par son courage, n’annulant qu’un amendement parlementaire sans effleurer le projet gouvernemental.

Alors que la « politique du chiffre » dans la chasse aux sans-papiers produit semaine après semaine son lot grandissant de drames humains (avec plusieurs morts dans des contextes révoltants), cette législation « décomplexée » a accru les risques d’ethnicisation des débats politiques (entre tests ADN et amendement sur les statistiques dites « ethniques »), avec des feux croisés d’instrumentalisation entre ceux qui veulent construire de l’ethno-racial et ceux qui refusent les moyens nécessaires à une meilleure connaissance des discriminations racistes. Il importe à l’évidence de refuser tant le marquage identitaire que l’aveuglement « républicaniste », sauf à se résigner aux tensions inter-communautaires négatrices du vivre ensemble.

Il n’en reste pas moins vrai que nous faisons face à une dérive xénophobe de plus en plus ouvertement assumée. Avec l’institution d’un contrôle gouvernemental de l’identité nationale, la mise en place de tests ADN pour prouver les filiations légitimes dans les seules familles issues d’anciennes colonies, la traque accélérée des sans-papiers et de leurs enfants au prix d’atroces drames humains, enfin, avec la mise en place cynique d’une « immigration choisie », qui réduit l’immigré à un facteur de production marchande, c’est la perspective d’une xénophobie d’État – elle aussi « décomplexée » – qui expose sciemment l’ensemble de la société à la contamination du rejet et de l’exclusion.

Il n’en est que plus préoccupant de voir cette logique utilitariste et excluante s’étendre à l’échelle de l’Union européenne, comme si un continent vieillissant et « déclassé », après avoir si longtemps dominé le reste du monde, ne pensait plus qu’à s’en protéger au risque de rejeter son propre avenir. Le pacte sur l’immigration adopté à Vichy présenté comme un des seuls succès de la présidence française ne peut que confirmer ce diagnostic.


2.3 - Recul des droits sociaux et politique de fragmentation sociale

On le sait de longue date, c’est au rythme auquel l’État pénal avance que l’État social recule. La remise en cause du système social a commencé en 2007 par la juxtaposition si symbolique du cadeau « TEPA » pour les plus riches et des « franchises » pour les autres, touchant évidemment les plus pauvres de plein fouet. Elle a continué par une parade de concertations tous azimuts, qui, menée comme un Kriegspiel, a cherché à obtenir pêle-mêle la modification voire la suppression de la durée légale du travail, l’allongement de la vie active, le démantèlement des règles du licenciement et de son contrôle judiciaire, la disparition du CDI (contrat à durée indéterminée) voire la remise en cause du statut de la fonction publique, etc. Quelques « Grenelle » (de l’environnement, de l’insertion…) habilement médiatisés, un peu de « solidarité active » ou, dans un langage moins contrôlé, de « plan anti-glandouille », sont censés recouvrir d’un peu de compassion solidaire un programme de déconstruction méthodique de l’effectivité des droits sociaux.

Une série de réformes votées ou annoncées ont donc aggravé des inégalités fiscales affichées, fait payer des malades pour d’autres malades (et supprimé toute prise en charge de la santé des sans papiers, enfants inclus, avant le stade de l’extrême urgence), multiplié les attaques contre le code du travail en cherchant à déstabiliser les organisations syndicales.

Alors que la loi sur le « droit au logement opposable » vient d’entrer en vigueur, l’absence d’effectivité de ce droit reste une plaie ouverte dans la société française, qu’il s’agisse de la situation dramatique des sans logis ou de l’insuffisance persistante des logements sociaux. La communication gouvernementale ne peut masquer la coexistence d’un grand nombre de logements vacants et de millions de mal logés, alors que les communes qui n’appliquent pas la loi « SRU » (imposant 20% de logements sociaux) ne sont toujours pas contraintes de le faire.

L’éducation est la cible prioritaire des coupes claires dans les crédits budgétaires, y compris là où au contraire elle serait indispensable au rétablissement de l’égalité : la suppression des Réseaux d’aides aux élèves en difficulté est emblématique de ce mélange de cynisme social et d’aveuglement sur l’avenir qui caractérise les choix des gouvernants actuels.

Ainsi la fragmentation de la société débouche-t-elle de plus en plus sur la fragilisation des droits, d’autant plus dramatique que la société française est travaillée par de profondes mutations.

On ne saurait à cet égard surestimer les effets politiques des profondes transformations récentes des statuts sociaux : alors que naguère encore les affrontements et les compromis se jouaient essentiellement dans l’entreprise, avec un personnel ouvrier travaillant sur des bases largement standardisés et pouvant se solidariser facilement dans de grands collectifs de travail, aujourd’hui les ouvriers des services sont trois fois plus nombreux que les ouvriers du secondaire. On observe donc une atomisation, qui rend extraordinairement difficiles les réponses communes à la « question sociale » et à cette fragmentation. De même, en l’espace d’une quinzaine d’années, la taille moyenne des entreprises françaises a diminué d’un tiers. Non seulement les formes de travail, lorsque l’on passe de l’industrie aux services, émiettent le statut des salariés, mais la taille générale des collectifs de travail diminue massivement. Comment tout cela resterait-il sans conséquences aussi bien sur le taux de syndicalisation, de mobilisation revendicative que, plus largement, sur les comportements urbains, civiques et politiques ?

Plus généralement, l’hétérogénéité des statuts augmente sans cesse et joue elle aussi sur les mentalités, qu’il s’agisse des ouvriers, des employés ou même des cadres : on observe de nouvelles fractures. En particulier, au sein des classes moyennes, la distance entre le public et le privé s’est accentuée, d’une part, à cause de la précarisation (qui a certes frappé le privé plus que le public, mais existe aussi dans ce secteur), d’autre part, et surtout, parce que les uns et les autres souffrent des mêmes transformations mais de manière différente.

De plus en plus nombreux sont ceux qui se vivent aujourd’hui en situation de régression, de déclassement par rapport au passé familial ou personnel. Le sentiment d’un avenir en amélioration devient quasiment exceptionnel. Car même pour les cadres des entreprises privées la précarisation n’est jamais absente de l’horizon. La dynamique de « déclassement des débouchés » vers des situations beaucoup plus instables, y compris pour les enfants diplômés des couches moyennes, développe un sentiment de fragilité et de régression matérielle et symbolique. Sachant que le déclassement menace toujours de produire des réflexes individualistes voire hostiles aux catégories inférieures que l’on craint de devoir rejoindre, comment ne pas voir dans cette dégradation l’une des explications du succès électoral du néopopulisme ?

À ces déstabilisations liées au passage de la société industrielle à la société de services, donc à la structure du salariat, s’ajoutent des écarts à la fois territoriaux et générationnels. Disparités territoriales d’abord, entre les régions, selon qu’elles plus ou moins exposées à la mondialisation, et sans doute, plus encore, entre les zones urbaines, les inégalités sociales et les discriminations étant sans cesse plus polarisées. Mais aussi fracture entre la génération du « baby-boom » – pour laquelle, un certain niveau d’emploi et de formation rendait quasi certain l’accès à un emploi à peu près convenable – et celles qui aujourd’hui, avec des diplômes plus élevés, connaissent des temps d’insertion très supérieurs dans le marché de l’emploi et des formes d’insertion très précarisées, non seulement à l’entrée dans la vie active mais aussi pour toute la durée de celle-ci. Ce sont là autant de facteurs de renforcement du sentiment de déclassement, d’insécurité et de précarisation.

Des choix implicites ont été faits par la société française, notamment des choix de ségrégation territoriale qui n’est pas propre aux « banlieues » : la territorialisation des inégalités sociales frappe aussi bien les zones rurales que les quartiers populaires. Contrairement à un discours répandu, il y a beaucoup de mobilité géographique en France, mais les résultats de ces nombreux déménagements renforcent massivement l’« entre soi » : le lien entre le logement et l’école est au cœur d’une logique de recul de la mixité sociale. Il s’agit là d’une faillite politique gigantesque, non seulement quand on supprime la carte scolaire mais aussi quand on a laissé la territorialisation des inégalités dicter les préférences des parents quitte à déplorer ensuite le renforcement des tendances au repli, la « responsabilisation » moralisante masquant là encore le recul de l’État social. Or, la ségrégation territoriale n’est pas tombée du ciel : elle résulte de certains choix d’élus locaux, de promoteurs immobiliers, d’aménageurs, et plus largement d’un État qui a pu instrumentaliser ou n’a pas utilisé les moyens de régulation du marché foncier. Faut-il souligner qu’en la matière ni la « mondialisation » ni les « contraintes internationales » ne peuvent servir d’excuses à la démission du politique ?

Il en va de même pour les choix générationnels : si l’écart des revenus entre les trentenaires et les quinquagénaires a triplé en France depuis vingt-cinq ans, c’est bien qu’un choix collectif implicite a fait peser le fardeau de la déstabilisation des statuts sociaux davantage sur les jeunes. Or, la difficulté et la précarité en début de carrière ne se rattrapent pas, si bien que ceux qui ont été des jeunes pauvres feront très majoritairement de vieux pauvres, avec tous les effets sur la cohésion sociale et les risques que cela comportera dans une vingtaine ou une trentaine d’années.

Ces transformations de la société ont eu des effets considérables non seulement sur l’état des droits sociaux mais aussi sur les conduites individuelles et collectives, sur les rapports familiaux, l’évolution de l’« urbanité », donc sur l’effectivité des droits « civils »… et bien entendu tout autant sur l’intégration sociale, les comportements civiques et les acteurs politiques. L’individuation, la précarisation, la perte des repères et des protections fragilisent les solidarités et accroissent la demande sécuritaire et autoritaire.

La désagrégation du tissu social, la territorialisation des inégalités et des discriminations lance le défi de la construction de nouvelles solidarités. La lutte contre l’émiettement ne peut ignorer que les différences sociales sont aujourd’hui moins liées à l’entreprise où l’on travaille qu’au territoire où l’on habite et à la génération à laquelle on appartient. Ce qui ne signifie pas que les questions liées aux classes sociales traditionnelles aient disparu mais qu’elles ne sont plus « exclusives » ni même peut-être centrales.

La question la plus importante en termes d’alternative au néopopulisme est ainsi le tissage de solidarités viables, c’est-à-dire fondées sur des bases objectives et non sur une sorte de « sainteté » laïque face aux précarités. Pour sortir du discours sécuritaire de Nicolas Sarkozy, qui prétend éradiquer l’insécurité civile tout en laissant libre cours à l’insécurité sociale, l’invocation incantatoire des « libertés » et de l’« égalité sociale » ne saurait remplacer l’invention de nouvelles garanties de l’effectivité des droits et de nouvelles formes d’interdépendance sociale.

Ces mécanismes de régulations, ces encadrements protecteurs des droits individuels, ces liens sociaux organisés ne pourront à l’évidence pas être aussi contraignants, intégrateurs et structurés que ceux du siècle dernier ; pas plus que le renouveau de l’effectivité démocratique ne peut s’enfermer dans les formes contraintes d’organisations de masse aujourd’hui désertées. « Faire de l’un avec du multiple » reste la mission du politique, plus encore aujourd’hui qu’hier. L’idée du multiple étant de plus en plus forte dans la société, la question est de trouver l’unité sans mutiler la diversité, donc de dégager des facteurs de solidarité et de rassemblement. Conjuguer individuation et solidarités organiques est le plus grand défi politique de ce nouveau siècle.

Ce ne sont pas tant les pistes qui font défaut que la résolution de s’y engager vraiment, qu’il s’agisse de la « Sécurité sociale professionnelle », de la recherche d’un « développement humain durable » fondé sur une « responsabilité environnementale et sociale » effective de tous les acteurs sociétaux, ou encore de la définition d’une politique scolaire de l’égalité et d’une politique foncière et urbanistique ordonnée autour de la mixité – et la liste n’est pas exhaustive. Chacun sent bien qu’il y a là autant de conditions nécessaires à l’épanouissement de la citoyenneté sociale dans laquelle peut s’enraciner la citoyenneté politique.

Le choc politique de 2007 est ainsi porteur non seulement d’une exigence de clarification des enjeux et des projets, mais de la nécessité de refonder le contrat social dans un monde profondément bouleversé, du local jusqu’au planétaire.


2.4 - Droits de l'homme et diplomatie : les mots et les actes

C’est bien au-delà de l’Etat-Nation que se jouent la défense des droits sociaux face aux évolutions économiques et financières, l’avenir écologique de la planète, la protection des libertés face aux politiques dites « antiterroristes », la prise en compte des mouvements migratoires ou encore des questions posées par les innovations scientifiques et technologiques (NTIC, bioéthique, etc.).

Or la cohérence du modèle idéologique à l’œuvre en France se manifeste aussi dans une politique extérieure sans complexes. Oubliées les indignations de campagne sur la trop grande compréhension de Jacques Chirac pour Vladimir Poutine, oubliée l’affirmation qui faisait, dans le discours d’investiture, de « la défense des droits de l’Homme [une] priorité de l’action diplomatique de la France dans le monde », orientation réaffirmée dans le discours aux ambassadeurs de l’automne 2007.

Place aux félicitations pour la qualité démocratique des élections russes, au silence sur la Tchétchénie observé à Moscou, sur le Tibet et la Birmanie manifesté à Pékin, à la litanie des marchés récoltés chez les dictateurs, au moins en paroles, par un chef d’État transformé en metteur en scène de contrats mirobolants. La secrétaire d’État aux droits de l’Homme… à l’étranger (comme s’il ne s’agissait que d’un article d’exportation) n’a eu le choix qu’entre un rôle de figurante ou d’alibi et la réprimande voire la porte de sortie du gouvernement, tant il est vrai qu’enfermer les droits de l’Homme dans une sorte de « réserve indienne » revient d’abord à signifier que le reste des instances politiques s’en trouve confortablement déchargé.

L’exemple chinois est à lui seul emblématique d’une politique aussi brouillonne et inefficace qu’éthiquement intenable : à vouloir préserver l’honneur et les contrats, on finit par se brouiller avec les régimes autoritaires après avoir pourtant capitulé devant eux. Or, autant une politique étrangère ne saurait ni se résumer à la défense des droits de l’Homme ni même se fonder sur cette seule défense, rien n’est pire que la discordance criante et humiliante entre les postures de communication médiatique et les actes réellement assumés. Dans un monde de rapports de forces, la faiblesse ne peut être longtemps masquée par les acrobaties verbales et l’aplomb dans les changements de pied.

Toutes ces bulles crèvent à la surface médiatique d’un marécage : celui d’une décrédibilisation de la parole de la République, d’un alignement sur une présidence US finissante et déconsidérée, d’une diplomatie que ses partenaires européens évaluent souvent comme l’exploitation médiatique des efforts des autres. Et l’inspiration idéologique de ce tournant se lit clairement dans ces discours qui ont fait du face à face entre Islam et Occident le grand défi de l’heure, qui entendent faire rentrer la France au bercail du commandement intégré de l’OTAN, et qui, à Dakar, ne voyaient dans l’imaginaire africain nulle place pour l’idée de progrès… Curieuse « rupture » que celle qui renoue ainsi avec des obsessions atlantistes voire maurrassiennes, la défense de l’« identité nationale » s’insérant dans une illustration essentialisante de l’« Occident ».

L’interne et l’externe se tiennent : on ne peut respecter les droits de l’Homme sans mettre au cœur de l’action politique la protection et la promotion de l’égale liberté et dignité de tous les êtres humains, quelles que soient leurs origines, leurs situations sociales, leurs parcours migratoires ou le pays dans lequel ils vivent.

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