lundi 8 décembre 2008

Les pleureurs du métro

J'aime le métro la nuit. Mardi 2 décembre, Oh50 au métro Hôtel de Ville. Les couloirs sont vides et interminables. Je n'entends que le ronronnement des rames, comme un bruit de fond, sur des lignes que je devine sous mes pieds ou au-dessus de ma tête et puis, le bruit rythmé de mes talons. Au moment où je débouche sur le quai, un bruit étrange comme une plainte brève, un sanglot étouffé. Je pense au geignement d'un phoque ou à un chien qui tousserait en gémissant. Je pense aussitôt au grand black pas dangereux mais inquiétant, pauvre fou qui hante parfois cette ligne et poursuit les passagers de borborygmes divers, insultes et grognements. Il n'est pas sur le quai. Mais en face, un homme assis plutôt jeune absorbé dans un livre, que je vois d'abord comme un étudiant un peu négligé avec un sac à dos, un bonnet, des mèches en broussaille qui dépassent. Je m'assieds distraitement. L'étudiant se met à geindre par jappements brefs. C'est lui qui pousse de drôles de sanglots, comme des plaintes douloureuses, il pleure en lisant, apparemment bouleversé. Je le regarde vraiment, je le vois maintenant comme il est. Sale, un peu hagard, il n'est pas étudiant. Sdf du métro la nuit, qui sanglote et geint dans un livre.
Plus tard, je m'assieds dans la rame et tout de suite je la vois dans le carré d'en face. Ses longs cheveux blonds mal décolorés, cachent son visage. Elle téléphone sur son portable, elle est agitée, et elle fait des petits bruits de souris, des petits sanglots aigus et brefs, comme si elle criait tout bas. En face de moi, une dame sévère qui serre son sac sur ses genoux, un regard brun. Elle, elle continue à s'agiter. Elle referme son portable. Elle relève un peu la tête, je vois une larme couler le long de son nez. Elle s'essuie avec sa manche. Elle renifle. Elle y retourne pourtant, hésite, rappelle, se remet à ses petits cris de souris qui ne veut pas, qui reproche et qui dit non, avec les larmes qui coulent le long du nez. Je pose ma main sur son genou et lui tend un kleenex. Son regard, noyé, chaviré, ailleurs. Elle me remercie, me dit "j'ai tellement mal, j'ai tellement mal", je dis "oui, je vois". Elle se mouche, me remercie encore. Je crois que le regard brun n'aime pas ce qui se passe, trouve la scène inconvenante, le mouchoir et la compasssion inutiles et déplacés, ou craint pour son sac. Trois stations plus loin elle sort en titubant, flageole comme une petite fille sur ses (trop) haut-talons bon marché, peut-être un peu ivre.

Je pense à la chanson de Brel, au regard brun.

"Mais ces deux déchirés,
superbes de chagrin
abandonnent aux chiens
l'exploit de les juger"



H. Purcell, "Let me weep", The Fairy Queen

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